Retour de Hervé Niquet à une partition fétiche de son Concert Spirituel

par

Joseph BODIN DE BOISMORTIER
(1689-1755)
Don Quichotte chez la duchesse
Chantal Santon Jeffery (Altisidore / La Reine du Japon), François-Nicolas Geslot (Don Quichotte), Marc Labonnette (Sancho Panza), Corinne Benizio (la chanteuse espagnole), Gilles Benizio (Le duc / le Japonais), Virgile Ancely (Montesinos / Merlin), Marie-Pierre Wattiez (le paysan), Agathe Boudet (une amoureuse / uen servante), Charles Barbier (un amoureux), Le Concert Spirituel, dir. Hervé NIQUET
Corinne & Gilles Benizio (alias Shirley & Dino), mise en scène
Louise Narboni, réalisation
Filmé à l’Opéra Royal du Château de Versailles
DVD - 2015 – 1h57’ – Textes d’introduction en français, anglais et allemand – Alpha 711

Hervé Niquet revient ici à une partition fétiche de son Concert Spirituel, abordée dès la création de son ensemble en 1988 et montée sur scène dès 1996. Pour cette reprise, le chef français fait appel à ses complices Corinne et Gilles Benizio (alias Shirley et Dino), espérant renouveler l’incontestable succès de leur King Arthur de Purcell, irrésistiblement loufoque dans la plus pure veine pythonesque. Disons-le de suite, l’essai n’est pas totalement transformé. Sans doute parce que les metteurs en scène, totalement libérés chez Purcell dans leur volonté de faire délirer une œuvre au sujet sérieux, bénéficient moins de cette forme de décalage dans l’œuvre de Boismortier, déjà partiellement parodique. Sans doute aussi parce que certains trucs et astuces découverts dans toute leur fraîcheur dans la précédente production (au premier rang desquels le chef costumé qui s’insère dans l’action sur un ton de pure comédie loufoque) sont reconduits ici sans atteindre tout à fait le même degré de spontanéité. Sans doute enfin parce que les nombreux gags potaches qui parsèment cette comédie ne sont pas tous d’un goût exquis, certains d’entre eux étant exploités jusqu’à usure complète… De même, il émane des dialogues et interludes (qu’il a fallu réécrire pour l’occasion car les scènes de comédie originales sont perdues) un bonheur divers. Alors, faut-il bouder son plaisir ? Je ne le pense pas, même si l’on ressent ici et là un air de déjà vu. Pourquoi ? Tout d’abord parce que la musique de Boismortier est superbe et absolument convaincante. Le compositeur déploie ici un art qui n’a rien à envier à celui de Rameau, tant dans la conception de mélodies très éloquentes que dans sa capacité à en exploiter tout le potentiel dramatique. On admire également l’intelligence, la précision et la maîtrise dont il fait preuve sur le plan théâtral, jouant avec gourmandise des effets induits par une succession de tableaux très contrastés. La prestation des interprètes, ensuite, n’appelle globalement que des éloges, à commencer par un orchestre précis et enthousiaste, parfaitement en situation. L’énergie que déploient le chef et ses musiciens emporte visiblement l’adhésion, même si l’on peut regretter que le ton de comédie facétieuse ne cède pas un peu la place ici et là à des sentiments plus délicats et introspectifs dans les rares moments qui le permettent (par exemple, le tendre solo pastoral de la Duchesse assise sur sa balançoire, déployant des trésors de suavité pour séduire Don Quichotte). La distribution soliste n’est pas en reste, dominée par le Don Quichotte théâtralement très abouti et remarquable d’émotion de François-Nicolas Geslot (malheureusement un peu gêné à l’aigu…), le Sancho Panza plein de verve de Marc Labonnette et la Duchesse (tour à tour Altisidore ou reine du Japon) merveilleusement hystérique et colérique de Chantal Santon Jeffery qui exploite véritablement toutes les ressources (apparemment inépuisables !) de son tempérament généreux. Malgré les quelques faiblesses décrites ci-dessus, on sort donc joyeux de la vision de ce spectacle dont la séduction visuelle est renforcée par un choix judicieux de décors et de costumes bariolés, soulignés par d’efficaces éclairages. On se surprend au passage à regretter que ce DVD ne comporte aucun bonus. Ajoutons que tout ceci est admirablement filmé pour conclure que non, décidément, il ne faut pas bouder son plaisir et au contraire profiter de deux heures de spectacle truculent, capable de nous distraire agréablement du tumulte qui nous entoure !
Jean-Marie Marchal

Son : 9 – Livret : 7 - Répertoire : 10 – Interprétation : 9

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