Salzbourg, le Festival de Pentecôte façon Bartoli

par

Rebeca Olvera et Cecilia Bartoli

La seconde édition des « Salzburger Pfingstfestspiele » sous la direction artistique de Cecilia Bartoli avait comme thème « Opfer », signifiant aussi bien sacrifice que victime et illustré dans des compositions diverses. La « Norma » de Bellini y trouvait sa place à côté de « Isacco figura del Redentore » de Jommeli, la Symphonie n° 13 Babij Jar de Chostakovitch , « Das musikalische Opfer » de Bach, « Ein deutsches Requiem » de Brahms et « Offertorium pour violon et orchestre » de Gubaidulina. Et bien sûr « Le Sacre du Printemps » de Stravinsky dont on commémore le centenaire cette année, ne pouvait pas y manquer.

Pour cette occasion le Mariinski de Saint-Petersbourg s’était déplacé à Salzbourg : orchestre, chœur et ballet sous la direction de son chef Valery Gergiev. Dans le « Grosses Festspielhaus » ils proposaient un programme avec trois ballets de Stravinsky dans la chorégraphie originelle et les décors et costumes de leur création et combinait « Les Noces » de Bronislava Nijinska de 1923 avec « Le Sacre du Printemps » de Vaslav Nijinski de 1913 et « L’oiseau de feu » de Michel Fokine de 1910. Ce fut une confrontation intéressante. Si on peut encore difficilement comprendre aujourd’hui le scandale qu’a provoqué la partition du « Sacre » on peut, par contre, bien s’imaginer comment la chorégraphie de Nijinski avec ses mouvements saccadés et ses attitudes souvent peu flatteuses a du choquer un public habitué aux danseuses éthérées, sur pointes et en tutu blanc. Pour nos yeux ce spectacle a l’allure d’un kaléidoscope multicolore, naïf et folklorique. Belle prestation de Daria Pavlenko comme l’Elue dans un ensemble qui manquait de précision. La même remarque s’applique aux « Noces ». Apparemment le Mariinski n’avait pas eu beaucoup de temps pour répéter ce spectacle. Musicalement l’exécution était d’un haut niveau sous la baguette attentive et impérative de Valéry Gergiev.
Pour « Norma » représenté dans la « Haus für Mozart » c’était l’orchestre La Scintilla (l’orchestre baroque de l’Opéra de Zürich) qui était dans la fosse pour la première production scénique de cet opéra de Bellini dans la nouvelle édition critique de Maurizio Biondi et Riccardo Minasi. Une édition qui nous fait découvrir les intentions originelles de Bellini et entendre quelques fragments nouveaux et qui, pour la distribution des rôles se réfère aux chanteurs de la création : Giuditta Pasta (Norma), Giulia Grisi (Adalgisa) et Domenico Donzelli (Pollione). Pasta chantait aussi bien Cenerentola et Tancredi, Grisi fut choisie par Donizetti pour Norina et Donzelli prêtait son ténor léger et souple à Almaviva et Don Ramiro. On est loin des sopranos dramatiques, amples mezzos et ténors lirico-spinto auxquels la tradition récente nous a habitués. Pas étonnant que la Norma Salzbourgeoise me parut initialement une version « light » du chef d’œuvre de Bellini avec une mezzo souple aux aigus faciles comme Norma, un soprano clair et léger comme Adalgisa, un ténor rossinien comme Pollione et un orchestre souple et transparent mais manquant un peu de présence. Mais on s’habitue vite et la force du spectacle est telle qu’on ne peut résister et que les belles voix vous emportent dans les mélodies infinies de Bellini.
Les metteurs en scène Moshe Leiser et Patrice Caurier ont transféré l’action de la Gaulle du temps des Romains à la France (ou l’Italie) de 1940-45. Norma n’est plus une prêtresse mais une visionnaire qui guide un groupe de la Résistance. Pollione n’est plus un proconsul romain mais un haut fonctionnaire nazi. Le temple d’Irminsul est devenu une école où la Résistance se réunit et cache ses armes, le bâtiment où finalement Norma et Pollione périront dans les flammes (décor Christian Fenouillat) . C’est une adaptation qui pose quelques questions mais qui généralement est bien faite et marche. Norma est une jeune femme, amante et mère avec laquelle on peut s’identifier. Elle se bat pour sa patrie et pour son bonheur, veut se venger de l’amant infidèle en tuant ses enfants mais préfère finalement se sacrifier. Cecilia Bartoli nous fait vivre toutes ces émotions avec elle et chante le rôle d’une voix expressive et contrôlée, sans abuser des coloratures mais avec un beau legato et une grande force dramatique. Sa voix harmonise bien avec le soprano clair et léger de Rebeca Olivera, jeune cantatrice mexicaine qui donne Adalgisa fraîcheur et vulnérabilité. John Osborne campe un Pollione sans grande personnalité mais chante le rôle admirablement. Michele Pertusi donne à Oroveso , autorité et humanité et une basse souple et noble. Clotilde en Flavio sont bien défendus par Liliana Nikiteanu et Reinaldo Macias et le Chœur de la radiotelevisione Svizzera Lugano remplit sa tâche sans problèmes. Sous la direction de Giovanni Antonini l’orchestre la Scintilla fait écouter une exécution pas toujours très précise mais engagée avec des références historiques et de belles couleurs dans les vents. Signalons que « Norma » sera repris cet été dans le festival d’été de Salzbourg.
Cecilia Bartoli était aussi la soliste dans une exécution de « Ein deutsches Requiem » de Brahms par le Wiener Singverein et le West-Eastern Divan Orchestra sous la direction de Daniel Barenboim avec René Pape comme partenaire. Ce fut une exécution bien équilibrée avec une prestation sublime des chœurs, un orchestre expressif et des solistes sincères. René Pape nous transmettait son message avec simplicité d’une voix bien contrôlée. Cecilia Bartoli semblait un peu moins à l’aise dans une langue et un répertoire pas trop familier et qui profite d’une voix plus claire et éthérée.
Erna Metdepenninghen
Salzbourg les 18, 19 et 20 mai 2013

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