Sans le baroque, la musique serait une erreur

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Disons-le de suite et sans ambages : la lecture de ce délicieux ouvrage est absolument réjouissante. L’auteur s’y fait en effet le chantre de l’art baroque en adoptant un ton malicieux qui fait merveille de bout en bout, léger, bondissant et percutant à l’image de cette musique qu’il aime par-dessus tout et qu’il adore opposer aux brumes romantiques dominées par «  la figure convulsive de la cantatrice-walkyrie aboyant à la mort pour un parterre transi d’hypnose sonore ».

Le ton est donné, l’humour omniprésent et le sens de la formule saisissant. C’est en méridional prolixe et volontiers radical que Thomas A. Ravier nous brosse ici un plaidoyer des plus brillants en faveur du retour à la nature, à sa délicieuse spontanéité et à ses couleurs chatoyantes. Ce cheminement essentiel ne peut passer que par la musique, avec comme langages idoines le baroque et le jazz. Une même énergie, un même rapport intime au rythme et à la danse innervent ces langues musicales salvatrices et étonnement sœurs, seules à même de briser la malédiction du 20ème siècle, ses ténèbres et son chaos assourdissant.

L’auteur puise aux meilleures sources les éléments essentiels de sa démonstration, pêle-mêle chez Harnoncourt, Brüggen, Gardiner, Savall, Malgoire, Rousset et autres chefs de cordée capables de tutoyer les sommets avec une verve intarissable. Tour à tour défilent également de subtils portraits d’interprètes, au sein desquels une place de choix est réservée aux cantatrices qui nous sauvent des « grosses vaches lunaires torturées » des opéras de Wagner, des (trop) larges gosiers qui donnent « l’impression d’entendre la mort qui fait une overdose », ou encore d’Elektra de Strauss, un véritable « film gore » dont on sort groggy.

Heureusement, de ce cataclysme a jailli la lumière intégrale, celle de Monteverdi, Lully, Purcell, Vivaldi, Haendel, Bach, Telemann et consorts, portée à incandescence par la voluptueuse Cecilia Bartoli, « torride taureau d’onde taraudant le public », par la « gitane de Pleyel » Patricia Petitbon et ses « contorsions vocales en forme d’orgasme de cartoon », ou encore par le timbre inouï de la Billie Holiday de l’opéra, Agnès Mellon. « De Germaine Lubin à Bartoli, on peut dire que le soleil s’est levé, non ? »

Le lien que Thomas A. Ravier crée entre jazz et musique baroque est particulièrement éloquent. Thelonius Monk, Max Roach et Miles Davis, entre autres, y apparaissent littéralement en compagnons de route du baroque, en termes de liberté, de mobilité, d’invention et d’improvisation, de pulsation rythmique viscérale.

« Au nom du swing, loin des gâteux du legato et autres rubatos rebattus, je viens renier avec une volonté indomptable le testament industriel de cette humanité nocturne qui va de Wagner à Daft Punk. » Un livre militant, au plein sens du terme !

En un mot comme en cent, tout ceci se dévore avec un appétit à la mesure de l’ogre solaire qui l’a écrit. « Je fais souvent ce rêve : Monk au clavecin. C’est ma définition d’un monde meilleur. Comme Mike Tyson écoutant Alfred Deller. A brave new world. » A recommander sans réserve !

Thomas A. Ravier, Sans le baroque, la musique serait une erreur, Variations XXXII, Editions Leo Scheer, 2018, 106 pages

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