La séduction est surtout musicale

par

Stephane Degout © Hofmann

Pinocchio de Philippe Boesmans
Commande conjointe de la Monnaie et du Festival d'Aix-en-Provence, c'est dans cette dernière ville que fut créé le nouvel - je n'ose écrire le dernier - opéra de Boesmans le 3 juillet 2017.
Déjà librettiste du précédent, Au Monde (2014), mais cette fois aussi metteur en scène, Joël Pommerat avait adapté au théâtre le livre de Carlo Collodi (1883) : en voici cette fois la version musicale. Oublions le film de Walt Disney (1940), la plume rouge au chapeau et Jiminy Cricket. Rien de toute cette imagerie dans le livret de Pommerat, très sombre. L'auteur rend au roman sa forme de quête initiatique : quand et comment Pinocchio va-t-il devenir "un vrai petit garçon" ? Il n'est plus un enfant, mais un adolescent en proie aux tourments et aux fantasmes de son âge, aux difficultés des relations humaines. Toute son histoire est racontée par un narrateur, dont les interventions sont parlées ou chantées, selon l'intensité dramatique. Après la création du petit bonhomme du sein d'un arbre brisé en deux, on quitte le fantastique pour suivre la trajectoire du pantin animé : école, cabaret, prison, rencontre de la fée, le pays de l'amusement éternel et les oreilles d'âne, le monstre marin, les retrouvailles avec le père. Le réalisme est de mise, souligné par la crudité du texte. Entendre "dégueulasse", "dégage minus", ou "chiant" n'est pas courant à l'opéra. Seuls éléments de magie, les apparitions de la fée apportent un peu de lumière, un peu de poésie dans ce monde de brutes. Car tout, ou presque tout, se déroule dans la pénombre, sur une scène quasi sans décors. De temps à autre, trois musiciens (violon tzigane, saxophone et accordéon) montent sur le plateau pour commenter un moment particulier de l'action. L'opéra ne dure qu'un peu moins de deux heures : vingt-trois petits tableaux. qui se succédent rapidement. On ne peut néanmoins s'empêcher d'y trouver quelques longueurs, l'action se traînant quelquefois. La musique de Boesmans, par bonheur, pallie ce léger défaut, par sa richesse instrumentale, ainsi que par la constante modification du style : du clin d'oeil vers le cabaret, de l'émotion intense des scènes de la fée, jusqu'à la citation d'airs du passé (un air de Mignon fort  remarqué). Particulièrement réussis sont les dialogues de Pinocchio avec son père, ou la scène de l'école, qui contient un choral. Le pantin est incarné par la jeune soprano Chloé Briot, qui vient d'enregistrer un adorable Enfant et les sortilèges chez Erato. Comme le personnage voulu par Pommerat, elle hésite entre la naïveté de l'enfance et les angoisses de son évolution. Cette valse-hésitation entre les différents aspects d'une personnalité naissante est accentuée par une mobilité constante de son visage et de son corps. Mais le rôle principal est celui du narrateur-directeur de troupe. Il est constamment présent, et, par ses commentaires, relie les tableaux l'un à l'autre. Stéphane Degout, familier de la Monnaie, y est parfait. Très à l'aise dans ce répertoire (il a créé La Dispute de Mernier, et Au monde), il a eu droit à une magnifique ovation. Toute aussi spectaculaire, la fée bénéficie du formidable talent de soprano colorature de Marie-Eve Munger, à qui l'on doit sans doute les plus beaux moments musicaux du spectacle. Vincent Le Texier est un père très émouvant. Yann Beuron et Julie Boulianne complètent la distribution. Il est à préciser que tous les chanteurs (hormis Briot et Munger) endossent plusieurs rôles. L'orchestre symphonique de la Monnaie se trouve réduit à dix-neuf musiciens, dont un piano, une harpe et quatre percussionnistes. Félicitations au compositeur, qui donne l'impression d'avoir écrit pour grand orchestre. Patrick Davin connaît très bien la musique de Boesmans, pour avoir dirigé quatre de ses opéras, dont la création mondiale d'Au monde. Par sa direction imagée, il rend au spectacle la brillance et la poésie trop peu présentes dans le livret.
Bruno Peeters
Bruxelles, Théâtre Royal de La Monnaie, le 7 septembre 2017

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