Solti, sa vie, son oeuvre, son art

par

Georg SOLTI (chef d'orchestre)
Documentaire et concert: oeuvres de Chostakovitch, Prokofiev et Moussorgsky

Orchestre Symphonique de Chicago
1977-DVD-NTSC-106'-Textes de présentation en français, anglais et allemand-Langues: anglais, allemand, français, espagnol et coréen-CMajor 711708


Ce remarquable document donne un aperçu très complet de l'art de Georg Solti, dont on fête cette année le 100ème anniversaire de sa naissance. Très classique dans sa conception, le documentaire rassemble témoignages de musiciens qui ont joué sous sa direction et dont certains furent parmi les plus merveilleux artistes du siècle, comme Walter Barylli, et extraits d'interviews qui émaillent l'histoire de sa carrière, un récit où ne sont pas oubliés les événements politiques qui, malgré lui, ont orienté sa carrière. D'emblée, le paradoxe est mis en exergue: le chef aux 31 Grammy awards, un record toujours inégalé que ce soit par un artiste classique ou pop, ne connut la gloire qu'une fois les carrières de Böhm, de Karajan, d'autres encore, sur leur déclin. Rien n'est négligé, ni ses années d'études avec Kodaly et Dohnanyi, ni son rôle de répétiteur de la Zauberflöte sous la direction de Toscanini au festival de Salzbourg de 1937 où il tenait également avec talent la partie de glockenspiel, souvenir qui fait dire à Solti: « il y a eu de meilleurs chefs que moi, mais pas de meilleur répétiteur ». La réputation qui s'étend, le choc de ses premières Noces de Figaro, débuts prometteurs brutalement interrompus par la montée du nazisme et l'Anschluss, son émigration vers la Suisse où Toscanini s'était temporairement installé, émigration due à sa naissance juive et qui l'oblige à quitter ses partents qu'il ne reverra jamais, nous sont comptés d'une façon tout à fait passionnante. En tant qu'émigrant, il est autorisé à résider mais pas à travailler. Inscrit dans un concours de jeunes pianistes, il le gagne, ce qui lui ouvre la porte de quelques concerts et lui permet de survivre pendant les années de guerre. La grande chance de Solti à cette époque est sa rencontre avec le magnat Maurice Rosengarten, l'un des grands actionnaires de Decca, qui arrange les premiers enregistrements de Solti pour le label britannique, à savoir des sonates pour violon et piano avec Georg Kulenkampff, et sera par la suite à l'origine de bien d'autres collaborations avec le label britannique. A la fin de la guerre, Karajan, Knappertsbusch, Krauss, Jochum sont interdits de direction; après les édifices et les monuments, la vie musicale s'écroule à son tour. Soutenu par Edward Kilenyi qui l'avait cotoyé pendant ses années d'études et était devenu officier dans l'armée américaine, Solti a la chance d'être nommé chef attitré de l'opéra de Münich, protégé par le fait qu'il n'a aucun passé nazi. Des années éprouvantes, à vrai dire, car les musiciens, anciens nazis pour la plupart, n'ont que haine pour ce Juif hongrois. Perfectionniste, jamais satisfait, il apparaît aujourd'hui comme l'un des derniers « dictateurs inspirés » de la direction d'orchestre. Rosengarten est aussi à l'origine de la collaboration de Solti avec de John Culshaw, le légendaire ingénieur du son de Decca, avec lequel il réalisa le premier Ring de studio, en bien des points toujours inégalé aujourd'hui. Cette aventure, la meilleure vente classique de toute l'histoire du disque, est longuement évoquée. C'est ensuite le Covent Garden où beaucoup de temps sera nécessaire pour parvenir à une estime réciproque. Il est à cette époque annobli par la reine, ce qui représente à la fois une consécration et la reconnaissance d'un talent hors du commun. Devenu plus tard directeur musical de l'orchestre de Chicago où il restera 22 ans, il se dégage, grâce à cette nouvelle nomination, de l'étiquette de chef d'opéra qu'on lui épingle et se consacre désormais en tout premier lieu à la musique symphonique. C'est à la tête de cet orchestre qu'il grave la plupart de ses disques les plus connus et récompensés, Ring excepté, bien entendu. Avec des billets qui s'arrachent à mille dollars la place, on peut imaginer la ferveur qu'il suscite à cette époque, où chaque concert fait figure de véritable événement. Ses difficiles collaborations avec l'orchestre de Paris et celui de l'Opéra Garnier ne sont pas escamotées. Par ailleurs, les jugements de différents collègues sur la qualité des orchestres français de l'époque ne sont guère tendres: « personne ne va travailler avec l'orchestre de Paris si ce n'est pour l'argent ». Le film s'attarde parfois sur tel ou tel détail de sa carrière, par exemple sur sa difficulté à s'adapter à l'acoustique si particulière du Festspielhaus de Bayreuth, déboires qui expliquent son absence prolongée en ce lieu généralement fort convoité par les plus prestigieuses baguettes. Sa rivalité sans fin entre lui et Karajan est aussi évoquée. L'émotion est très souvent palpable à travers ce récit d'une vie exceptionnelle, notamment au détour de l'une ou l'autre réflexion, qu'elle soit due au maestro lui-même ou à un témoin. La seconde partie de ce dvd fort bien rempli nous donne l'occasion de revivre une partie d'un concert capté à Chicago et consacré à la musique russe: prélude la Khovanchtchina, symphonies n° 1 de Prokofiev et de Chostakovitch. Vivement conseillé.
Bernard Postiau
Son 8 - Livret 5 - Répertoire 10 - Interprétation 9

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