Sublime Andras Schiff !

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Très rarement, il arrive que la critique baisse totalement les bras lorsqu’un artiste touche au sublime. Néanmoins, ceci est advenu mercredi dernier 7 février au Victoria Hall de Genève avec le récital du grand pianiste Andras Schiff dans le cadre de la série ‘Les Grands Interprètes’ proposée par l’Agence de concerts Caecilia.

Pour présenter son programme, il a opté pour un Bösendorfer aux sonorités profondes étoffant les graves et éclaircissant les aigus. Il commence par une page peu connue de Robert Schumann, les ‘Geistervariationen’ en mi bémol majeur opus posthume qui constituent son ultime recueil pour piano. Sur le ton de la confidence, il les développe en faisant chanter les voix intérieures sous les triolets et canons à l’octave, tout en entrouvrant l’éventail pour donner libre cours à un pianissimo rasséréné.
Il propose ensuite les trois derniers cahiers de Brahms qu’il entrecoupe d’une page de Mozart et d’une de Bach. Aux Trois Intermezzi op.117, il prête d’abord une résignation qui n’a rien de tragique en faisant miroiter le dessin d’octaves avant de laisser se répandre une ondée d’arpèges rendant immatérielle la mélodie ; et le dernier numéro prend une apparence fantomatique avec ces unissons qui parent l’aigu d’étrangeté. Les Klavierstücke de l’opus 118 souscrivent d’abord à un ‘Sturm und Drang’ sans la moindre dureté qu’atténue un Intermezzo empreint de consolation ; à ras du clavier, la Ballade a fière allure, alors que le deuxième Intermezzo est susurré afin de dégager la sérénité de la Romance ; et le troisième Intermezzo avec ses traits échevelés gronde sous un pianissimo insolite. L’essence du rêve semble habiter la première page de l’opus 119, tandis qu’un rubato haletant emporte la seconde sans gêner la précision du trait ; la troisième a le pied léger avec un brio qui rappelle les Davidsbündlertänze de Schumann, ce que confirmera la Rhapsodie aux accents héroïques. Au sein de ces trois cycles, Andras Schiff intercale une page de Mozart, le Rondo en la mineur K.511 qu’il sait rendre irréel sous de douces larmes en ourlant la ligne de trais d’ornement expressifs. Le 24ème Prélude et fugue en si mineur BWV 869 nous met en présence d’un Bach qui peut chanter sous un legato nuancé, quand le dialogue des voix déplace la mélodie du grave à l’aigu.
Et le programme s’achève par la 26ème Sonate en mi bémol majeur op.81 a de Beethoven dite Les Adieux’ : la cantilène est nimbée d’une douceur retenue que dissipera un allegro impétueux, avant de céder à une tristesse désabusée, estompée par le flux pimpant d’un finale célébrant le retour. En bis, le Schumann de l’ ’Arabesque op.18’ et le Gai laboureur de l’ Album pour la jeunesse op.68. Un seul mot : exceptionnel ! Quel artiste ! Quel musicien !
Paul-André Demierre
Genève, Victoria Hall, le 7 février 2018

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