A Genève, un Sokolov épris de poésie
Pour sa remarquable saison ‘Les Grands Interprètes’, l’Agence de concerts Caecilia invite une fois de plus le grand pianiste Grigory Sokolov, ce qui nous permet de l’entendre assez régulièrement à Genève.
Le récital du 20 mars donne l’impression que l’artiste se concentre sur une poésie intimiste à l’encontre de toute virtuosité factice. La première partie de son programme est entièrement consacrée à Johann Sebastian Bach en commençant par la transcription pour piano des Vier Duette pour orgue BWV 802 à 805 qu’il aborde avec allant dans un son clair mettant en exergue la pureté des lignes et en usant du détaché pour laisser affleurer les audaces harmoniques. Le dialogue des deux voix se répand avec fluidité dans la troisième page en forme de pastorale, alors que la dernière a la rigueur d’une fugue détaillant toute figure d’ornementation à chaque main. Sans coup férir, le pianiste enchaîne avec la Deuxième Partita en ut mineur BWV 826 en lui prêtant un ton solennel qu’atténue un sobre arioso ponctué par la main gauche, suivi d’un fugato brillant. L’Allemande tient du chant large débouchant sur une Courante d’écriture complexe. La Sarabande renoue avec une majestueuse sérénité toute en demi-teintes que bousculeront un Rondeau à la française d’une rare énergie puis un Capriccio d’une richesse contrapuntique élaborée avec une logique implacable.
La seconde partie comporte d’abord sept des Mazurkas de Chopin. Dans les quatre de l’opus 30, Grigory Sokolov recourt à un jeu analytique en osant désarticuler légèrement la phrase ou en utilisant le rubato à des fins expressives. Les contrastes de coloris émanent d’infimes fluctuations rythmiques empreintes d’une atavique nostalgie. Dans l’opus 50, le dialogue à deux voix se corse d’élans dramatiques véhiculant un désarroi douloureux que de sporadiques inflexions dansantes ne parviendront pas à atténuer.