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Dossier Schumann (II) : la musique de chambre

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Suite du dossier Schumann avec un article que Bernard Postiau avait consacré à sa musique de chambre. 

La nécessité du renouveau

Que n’a-t-on pas écrit sur la musique de Schumann! Une opinion fortement ancrée dans les esprits de ses contemporains, et jusqu’à aujourd’hui, veut que le compositeur de Manfred n’ait écrit de bonne musique que pianistique. Certains, et non des moindres, allèrent jusqu’à attribuer à la folie les "faiblesses" des oeuvres postérieures à l’opus 50! La folie de Schumann fut bien réelle, mais elle n’entrava son activité créatrice que dans les ultimes mois, à Endenich où il était interné. Encore n’a-t-il jamais écrit de musique sous l’emprise de la folie. Si certaines traces de "folie" sont présentes dans sa musique, elles sont le fruit d’une décision personnelle, prise par un esprit lucide: faire entrer l’auditeur dans l’univers de ses crises. 

Que ce soit dans l’ouverture de Manfred ou dans le 3e Trio, par exemple, les traces de folie qu’on y trouve sont une sorte d’illustration sonore de cet état psychique spécifiquement voulu par un Schumann en pleine possession de ses moyens lors de leur rédaction. Il suffit d’ailleurs de regarder, à l’intérieur même de ces "pièces à conviction" la structure impeccable, les innovations hardies et géniales, la maîtrise absolue d’un art arrivé à sa pleine maturité, pour saisir l’inanité de ces préjugés.

Quoi qu’il en soit, il y a généralement une incompréhension totale quant à la décision de Schumann d’abandonner, peu après son opus 20, sa fameuse Humoresque, l’écriture pianistique pour se consacrer à d’autres domaines de composition, à commencer par le lied. Celui-ci sera son moyen d’expression privilégié et quasi exclusif de l’année 1840: près de 200 mélodies qui renouvelleront le genre, orienteront son évolution et ouvriront toutes grandes les portes à Brahms et Wolf. 

Se dépasser en permanence

Il faut s’arrêter un instant sur cette volonté d’"abandonner", au moins temporairement, l’écriture pianistique, car elle explique la démarche que Schumann fera sienne quand il abordera la musique de chambre. 

Dossier Anton Bruckner (1/3) : Bruckner d'aujourd'hui ?

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Arnold Schönberg et ses deux grands disciples Alban Berg et Anton Webern se sont toujours expressément réclamés de la filiation de la grande tradition viennoise, dont Webern citait les noms glorieux : Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, Brahms, Wolf, Mahler. Le nom de Bruckner manque, la Seconde Ecole Viennoise n'en parle jamais. Se pourrait-il qu'il ne fasse pas partie de cette lignée ?...

Le grand musicologue allemand Heinz-Klaus Metzger, éminent exégète des Viennois, me confiait un jour avoir été longtemps imperméable à Bruckner, mais y avoir été initié par un enthousiaste : Edgard Varèse. Rejeté par les Viennois, revendiqué avec feu par l'outsider franco-américain Varèse, se pourrait-il que Bruckner soit lui aussi un marginal, c'est-à-dire un créateur à contre-courant ?...

Wilhelm Furtwängler, interprète insurpassé du maître de Saint Florian (dont il avait audacieusement inclus la Neuvième dans son tout premier concert, dirigé à moins de vingt ans !) écrivit un jour que Bruckner n'était nullement un romantique, mais un mystique gothique égaré par erreur au dix-neuvième siècle. "Unzeitgemäss", le mot allemand, malaisé à traduire, signifie "non conforme à l'esprit du temps". De son vivant, on l'appliqua à Mahler, alors méconnu, pour l'opposer à son rival plus heureux Richard Strauss. Mahler se consolait comme il pouvait avec son fameux Meine Zeit wird kommen ("mon temps viendra"). Après un grand demi-siècle d'attente, la postérité lui a donné raison avec éclat, il n'est point de compositeur plus populaire aujourd'hui, pas même Beethoven. Mais Bruckner ? Lui aussi devait d'une certaine manière faire confiance à l'avenir puisque, tout en acceptant sans trop sourciller les remaniements et les coupures infligés à ses Symphonies par des disciples trop zélés, il en confiait les manuscrits originaux à la Bibliothèque Nationale de Vienne, en précisant : "ils valent pour les temps futurs". 

Dossier (4) : Liszt et l'orgue

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Si les œuvres pour piano ou pour orchestre de Liszt et leur place dans le XIXe siècle ont depuis longtemps été correctement évaluées, sa musique d’orgue, elle, ne semble avoir de réelle répercussion qu’auprès des organistes, et encore, peu d’entre eux ont-ils une connaissance approfondie de celle-ci et savent-ils en apprécier les lignes directrices ! On peut la diviser grosso modo en deux périodes : d’une part, les trois grandes pièces composées entre 1850 et 1863 (Fantaisie et fugue sur le choral « Ad nos, ad salutarem undam », Prélude et fugue sur B. A. C. H. et Variations sur « Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen ») et, d’autre part, une série d’œuvres plus courtes dont la composition s’étend jusqu’à sa mort en 1886. On citera pour mémoire les transcriptions d’après Bach, Lassus, Wagner, Nicolai ou Chopin, et les œuvres vocales où l’orgue joue un rôle plus ou moins important (telle la Via Crucis, d’une densité remarquable).

Dans les trois grandes pièces, Liszt se montre conforme à l’idée caricaturale que l’on se fait de lui : grandiose, virtuose, spectaculaire, tourmenté et brillant. Composée en 1850, la Fantaisie et fugue sur le choral « Ad nos, ad salutarem undam », paraphrasant longuement le choral des trois anabaptistes du Prophète de Meyerbeer, est une fresque monothématique monumentale, en trois sections enchaînées. Par l’ampleur des moyens techniques nécessaires et par l’originalité et la longueur de la forme, le parallèle avec la Sonate en si mineur pour piano semble évident. Avec le Prélude et fugue sur B. A. C. H., de 1855, Liszt veut, comme Schumann, rendre hommage à Bach. Mais contrairement à lui, il ne s’attaque pas à ce projet avec les outils de Bach -le contrepoint, notamment- mais avec des fulgurances nouvelles, déjà expérimentées dans l’œuvre précédente, et que seul un pianiste accompli pouvait oser. Ne nous y trompons pas : si le titre mentionne une fugue, nous n’en trouvons réellement que l’exposition, vite submergée par les traits virtuoses. Enfin, en 1862, Liszt entreprend les Variations sur « Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen », sur l’ostinato chromatique du premier chœur de la Cantate BWV 12 de Bach, par ailleurs fort proche du Crucifixus de la Messe en si. Comme dans le Prélude et fugue sur B. A. C. H., l’élément chromatique sert admirablement le langage de Liszt et lui permet ici de développer le contenu émotionnel attaché au texte (« Larmes, plaintes, soucis, craintes, angoisses et détresse sont le pain amer des chrétiens ») dans une forme alliant passacaille, variations, récitatif dramatique et, pour conclure, le choral Was Gott tut das ist wohlgetan. Le sens théologique de celui-ci (« Ce que Dieu fait est bien fait ») entre en résonance avec les interrogations du début de l’œuvre et annonce la sobriété des recueils à venir.

Dossier Liszt (1) : un compositeur au carrefour d'un siècle

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Pendant deux tiers de siècle, où que l'on se tourne, qui que l'on considère, toujours, il est là, toujours on tombe sur lui, sur sa haute et mince silhouette, sur son profil noble et impérieux, sur sa longue chevelure, tant le passage graduel au gris, puis au blanc, semble jalonner le passage même de ce siècle, le dix-neuvième, dont il est l'épicentre ou le nombril. 

Liszt: le "z" semble siffler à nos oreilles comme un fouet, et pourtant il n'apparaît pour la première fois que vingt ans à peine avant la naissance de notre compositeur. Son père, Adam, installé en Hongrie, l'ayant ajouté à son patronyme bien allemand de List, car les Hongrois prononcent le s "sch", et seule l'adjonction du "z" donne notre son "s". Et en effet, l'ascendance tant de son grand père que de sa mère est purement allemande ! On parlait allemand au foyer familial. Le village natal du compositeur, Raiding, se trouvait à l'époque en Hongrie. Depuis 1919, il fait partie de l'Autriche, mais il est tout proche de la frontière, dans cette province du Burgenland dont la petite capitale s'appelle Eisenstadt, bien plus proche de Vienne que de Budapest. Eisenstadt ? Les Esterhazy. Ne cherchez pas plus loin. Joseph Haydn est du coin. Rohrau, son village natal, est proche de Raiding mais se trouvait déjà du côté autrichien de la frontière. Et les Liszt travaillèrent eux aussi au service de cette illustre famille princière autrichienne au nom hongrois. L'enfant Liszt comme l'enfant Haydn fut élevé par les chants des Tziganes nombreux dans la région. 

Franz (Ferenc en hongrois, François en français) se revendiqua toujours comme Hongrois, mais il ne parlait pas le hongrois et le comprenait fort peu ! Il fut élevé en allemand mais habita Paris dès l'âge de douze ans, et Paris demeura son principal port d'attache durant plus d'un quart de siècle. Ses écrits sont presque tous en français, mais il ne maîtrisa jamais parfaitement cette langue et faisait des fautes, de même qu'en allemand d'ailleurs. Plus tard, durant la dernière partie de sa longue existence, celle de l'"Abbé Liszt", passée en bonne partie à Rome, l'italien devint sa troisième langue usuelle. En fait, Liszt a été le premier compositeur totalement européen et international, un apatride au sens le plus noble du terme, mais nullement un déraciné, seulement un arbre dont les multiples et puissantes racines se jouaient des frontières. 

Brahms passionnément

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Brigitte FRANÇOIS-SAPPEYJohannes Brahms, chemins vers l’Absolu. Fayard, coll. « Les chemins de la musique », 407 p., 25 €.

Pour des raisons difficiles à cerner, les musicologues français n’ont jamais trop aimé Johannes Brahms. Ils lui préfèrent, et de loin, Robert Schumann et Richard Wagner, sur lesquels ils ont d’ailleurs beaucoup écrit.

Un nouveau répertoire pour le violoncelle avec Pieter Wispelwey

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Franz SCHUBERT (1797-1828). Rondo pour violon et piano op. 70 D 895 ; Johannes BRAHMS (1833-1897) : Sonate en ré majeur pour violon et piano op.78 – Sonate en fa mineur pour clarinette (ou alto) op.120 No.1. Pieter Wispelwey (violoncelle), Paolo Giacometti (piano). 2018 - 64’20’’ - Livret en anglais, français, allemand et néerlandais - Evil Penguin Records Classic EPRC0028

Gina Bachauer, une grande pianiste trop oubliée

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Gina Bachauer ; the Rare Recordings. Oeuvres de Edvard Grieg, Ludwig van Beethoven, Jean-Sébastien Bach, Wolfgang Amadeus Mozart, Camille Saint-Saëns, Gabriel Fauré, Maurice Ravel, Claude Debussy, Johannes Brahms, Franz Liszt. Gina Bachauer, piano.  Chefs et orchestres divers. 1949 à 1962-ADD-66'05, 75'13, 71'01 et 74'59-Textes de présentation en anglais et allemand-Profil Günter Hänssler PH 18018 (4 cd)

La spontanéité d’Aldo Ciccolini

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© Bernard Martinez

Johannes Brahms (1833-1897) : Quatre Ballades, op.10
Edvard Grieg (1843-1907) : Sonate pour piano en mi mineur, op.7
Franz Schubert (1797-1828) : Sonate pour piano en si bémol majeur, D 960
A l’issue du concert à Flagey d’Aldo Ciccolini, seul le silence nous entoure. Après une telle soirée, sommes-nous habilité ou tout simplement capable d’exprimer un commentaire sur ce qu’il vient de se dérouler ? Car si le travail du critique ou du commentateur peut s’avérer périlleux voire déplaisant en certaines occasions, il n’en demeure pas moins un moment de partage, de découverte.