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Joyce di Donato, sublime souveraine au royaume enchanté de Purcell

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En première partie, l’oratorio Jephté de Carissimi introduit dans un paysage sonore délicat où la célèbre plainte de la vierge sacrifiée par l’inconséquence de son père saisit par sa modernité. Anna Piroli, seconde sorcière dans la deuxième partie, lui prête sa simplicité sans que la projection et la texture de la voix suffisent à en rendre toute la portée dramatique.

Très concentrée, Joyce di Donato offre ensuite une interprétation de la reine de Carthage de haut vol où se concilient noblesse, beauté et humanité.

Mille fois déjà, le chatoiement du timbre, ses métamorphoses, depuis les aigus suspendus jusqu’à l’opulence des graves, ont été salués sur les scènes du monde entier. Mais ces qualités ne seraient qu’admirables si elles ne rejoignaient pas cette sorte de profondeur inexprimable qui touche au cœur.

Ainsi jouée, on comprend pourquoi cette musique -impitoyable dans sa nudité- fit pleurer les cours de France et d’Angleterre.

Toujours concise, la plainte est rehaussée par la vivacité des ballets (ovation finale pour le percussionniste placé en haut de la pyramide de l’orchestre), les ricanements diaboliques, les orages et fête nautique directement issus de Lully.

Ce qui n’est pas surprenant puisque le maître de Purcell, Pelham Humfrey, fut l’assistant, l’élève et le copiste du compositeur français durant plusieurs années avant de s’en retourner en Angleterre instruire les musiciens du roi Charles II d’Angleterre parmi lesquels un certain... Henry Purcell.

Victoria de los Ángeles : Gala du centenaire au Liceu

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Mis à part leur année de naissance, deux des plus grandes cantatrices du XXe siècle, semblent partager plus de divergences que des points un commun : une vie privée discrète voire ascétique pour Victoria, un étalage de « paparazzi » et une énorme renommée pour Maria Callas, une carrière brillante, certes, mais la Barcelonaise n’est jamais devenue un icône de masses. Pourtant, si l’Espagnole avait eu une enfance heureuse et pas marquée par la mésentente avec sa mère comme Callas, sa vie privée d’adulte ressemble cruellement à un calvaire, tenu dans le secret ou dans la plus grande discrétion. Car, de ses deux enfants, le deuxième avait un syndrome de Down, avec les difficultés que cela pouvait causer à cette époque et le premier, Juan Enrique, décéda dans sa trentaine de manière inopinée. Pour couronner l’ensemble, son mari entretenait une deuxième famille de plusieurs enfants avec sa secrétaire et cela aux frais de la cantatrice car le divorce était impossible dans l’Espagne franquiste. Un détail glaçant sur la condition féminine dans cette période si proche -et que certains semblent actuellement regretter- : le mari qui aurait tué sa femme adultère, n’était puni que par le bannissement selon le Code Pénal en vigueur alors… Un autre aspect divergeant entre les deux tient à leur renommée : si Callas divisait les esprits entre partisans et détracteurs acharnés, rivalité avec la Tebaldi incluse, Victoria semble n’avoir connu que l’éloge pour sa musicalité, sa recherche infatigable de la vérité expressive et son talent pour transmettre au public les émotions les plus profondes. Invitée par Wieland Wagner, elle est à ce jour, avec Plácido Domingo, la seule espagnole à avoir chanté dans le « Santa Sanctorum » wagnérien de Bayreuth. Sa carrière internationale fut splendide : entre 1950 et 1961 elle chanta 200 représentations au Metropolitan de New York, en passant par le Covent Garden à Londres, La Scala de Milan, le Wiener Staatsoper ou le Teatro Colón à Buenos Aires et, dès ses débuts, au Liceu. Pourtant, un aspect essentiel de sa carrière fut le récital de « Lieder » : elle considérait que cet aspect du chanteur était un défi immanquable : « Le lied aide à parfaire le phrasé, la musicalité et se joint à la poésie, à la littérature… à la toute culture en définitive ! » disait-elle.

Joyce Di Donato ou l’interprète sans frontières

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EDEN est le titre utilisé à dessein pour ce nouveau projet de l’infatigable chercheuse de projets originaux et significatifs qu’est Joyce Di Donato. Il y a quelques années, peu de temps après la montée au pouvoir de Donald Trump, Di Donato présentait au Liceu, avec ces mêmes orchestre et chef, « En Guerre et en Paix. Harmonie à travers la Musique » un témoignage contre la violence et la guerre. Ici c’est plus la destruction de notre planète qui inspire l’artiste américaine, et tous les textes choisis auront un rapport immédiat avec l’amour pour la végétation ou le règne animal. Il faut dire que le Palau de la Mùsica Catalana se prête de manière admirable à un tel propos car la décoration moderniste de la salle en est directement inspirée : des guirlandes de fleurs, de la végétation exubérante ou des allégories musicales complètent un tableau vivant où les interprètes semblent trouver un complice en pierre, verre et lumière. Cependant, la guerre n’est pas encore très loin du propos de la cantatrice : avec les mots : « Non più, Giove, non più guerra, » qui concluent l’air « Piante ombrose » de la Calisto de Cavalli, elle nous transmet un frisson particulier qui nous ramène tout droit à la triste actualité. Mais revenons à notre jardin d’Eden ou des Hespérides musicales : c’est là que brille actuellement la mezzo-soprano. Dont la tessiture tend à s’approcher actuellement de celle du contralto : dans tous les airs, l’on entend un grave plus épais que jadis et aux belles résonances d’airain, mais elle ne s’aventure presque plus dans des aigus qui semblent légèrement serrés ou inconfortables. Toutefois, elle nous régale toujours de ces sons éthérés, sortis parfois du silence ou du pianissimo le plus invraisemblable pour nous conduire, en déployant ses phrases, vers un état second où le frémissement est de mise. Que dire de sa versatilité stylistique : le principe de l’interprète spécialisé dans une période ou dans un répertoire déterminés est ici franchement mis à mal : passer ainsi sans discontinuer de Charles Ives ou Rachel Portman à Gustav Mahler, Francesco Cavalli ou Biagio Marini peut nous conforter dans l’idée que la grande musique est absolument intemporelle, tout comme ses meilleurs interprètes. Cependant, si l’on approche un peu cette interprète à travers ses amusantes « Masterclasses », on comprend tout de suite qu’un telle approche stylistique ne doit rien au hasard : tout est minutieusement documenté par rapport aux sources historiques et passé ensuite au crible d’une sensibilité et d’une capacité à communiquer hors normes. Un moment saillant de la soirée fut l’air « Toglierò le sponde al mare », de Josef Mysliveček, l’ainé et ami de Leopold et de Wolfgang Amadeus Mozart et qui inspira ce dernier dans son écriture symphonique, mais encore davantage par son sens accru du drame à l’opéra. Pour clore la séance de frémissements, Di Donato nous offrit le lied de Mahler « Ich bin der Welt abhandelt gekommen » : difficile d’atteindre un seuil plus élevé dans l’émotion que la musique peut susciter. L’ensemble du récital a fait l’objet d’une mise en scène très précise et soignée : un podium rond, autour duquel jouent les instrumentistes, suggère la souche d’un arbre et les pièces de deux ronds métalliques constitueront un double cercle qui va donner vie à un cycle, tel les anneaux annuels des troncs d’arbre qui nous parlent du climat ou des événements survenus jadis. C’est un travail minutieux, avec des éclairages envoûtants signés Marie Lambert Le-Bihan et John Torres. Je me permets de douter que ce travail aurait eu autant d’impact si la cantatrice n’avait pas les capacités de communication d’une Di Donato : son corps d’actrice exprime aussi bien les différents sentiments que sa voix les nuances les plus subtiles. 

L’Eden déroutant, mais si investi, de Joyce Di Donato

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Eden. Charles Ives (1874-1954) : The Unanswered Question. Rachel Portman (°1960) : The First Morning of the World. Airs et Lieder de Gustav Mahler (1860-1911), Biagio Marini (1594-1663), Josef Mysliveček (1737-1781), Aaron Copland (1900-1990), Francesco Cavalli (1602-1676), George Frideric Handel (1685-1759) et Richard Wagner (1813-1883). Extraits orchestraux de Giovanni Valentini (c. 1582-1649) et Christoph Willibald Gluck (1714-1787). Joyce Di Donato, mezzo-soprano ; Il Pomo d’oro, direction Maxim Emelyanychev. 2021. Notice en anglais, en français et en allemand. Textes dans leur langue originale, sans traduction. 68.29. Erato 0190296465154.

Extase et ravissement, Theodora de Haendel au Théâtre des Champs-Elysées

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Pour son 25e oratorio, Haendel s’écarte des sujets bibliques pour s’intéresser au martyr de Theodora et Dydimus relaté en 1687 par Robert Bayle. Le récit des persécutions chrétiennes sous Dioclétien (302-305 ap. J.C.) nous est parvenu à travers le Second Livre des Vierges de Saint Ambroise. L’influence de Corneille y transparaît également. A sa création, l’oratorio pour lequel l’auteur avait une secrète prédilection est dédaigné, et les trois représentations des 16, 21 et 23 mars 1750 rapportent à peine le tiers des recettes de Saul ou Judas Maccabaeus. Haendel lui-même aurait confié à son librettiste Thomas Morelle : « Les juifs ne viendront pas (comme à Judas) parce que c’est une histoire chrétienne ; et les dames ne viendront pas non plus parce que c’est une histoire vertueuse ».

Pourtant, selon le biographe Jean Gallois, le livret s’avère « l’un des meilleurs dont Haendel ait pu disposer, offrant au-delà des personnages devenu symboles, une construction extrêmement diversifiée dans le développement des scènes ». En effet, au fil d’une intrigue à première vue assez linéaire, la tragédie va s’organiser d’une manière complexe pour atteindre, après diverses métamorphoses, la résolution de conflits publics et intimes.

Joyce DiDonato à Liège: le “best-of” d’une diva incontournable

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C’est un accueil digne de celui d’une rock-star qu’a réservé le public de l’Opéra Royal de Liège à Joyce DiDonato hier soir. On ne présente plus la “diva yankee” à la voix souple et au charisme unique. Originaire du Kansas, la mezzo-soprano s’est forgé une carrière internationale dans les salles les plus prestigieuses depuis ses débuts à l’Opéra Bastille dans le rôle de Rosina du Barbier de Séville de Rossini en 2002.

Une brillante interprétation ruinée par un ténor indigne

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Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791) : La Clemenza di Tito. Rolando VILLAZON (Tito), Joyce DiDONATO (Sesto), Marina REBEKA (Vitellia), Regulia RÜHLEMANN (Servillia), Tara ERRAUGHT (Annio), Adam PLACHETKA (Publio), Orchestre de chambre de l'Europe, dir.: Yannick NEZET-SEGUIN. 2017-DDD-69'09 et 71'31-Textes de présentation en anglais, allemand et français- 2 CD DGD 483 5210.