Mots-clé : Nora Gubisch

Caractère et énergie au Festival International de Colmar

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Au Festival International de Colmar, il est de coutume de programmer trois concerts par jour. Le premier, à 12h30, promeut de jeunes talents en leur offrant la possibilité de se produire au Koïfhus, le deuxième à 18h au Théâtre municipal de Colmar met en avant la musique de chambre tandis que le dernier, à 20h30 en l’église Saint Matthieu, est réservé aux grands solistes et orchestres internationaux.

En ce mardi 11 juillet, la journée a débuté par un récital de piano de Nicolas Bourdoncle. Diplômé en 2015 du CNSM de Paris, le jeune Français de seulement 25 ans se produit régulièrement à l’international. Pour cette prestation au Festival de Colmar, il a décidé de s’attaquer aux sonates de Beethoven. Avec beaucoup de caractère et une personnalité très forte, il a interprété les Sonates No.6, No.23 et No.30 du compositeur allemand. Très précis et énergique, il vit totalement les œuvres qu’il joue. Parfois même trop au vu de la taille relativement petite du Koïfhus. Certains passages furent interprétés avec un peu trop d’agressivité et de lourdeur, surtout dans les basses. Abstraction faite de ces passages, ce fut un beau récital et le public semblait ravi. Nicolas Bourdoncle a joliment proposé un Nocturne de Chopin en bis.

Sur le coup de 18h, nous avons eu le plaisir d’entendre le Quatuor Ardeo, composé de la violoncelliste Joëlle Martinez, de l’altiste Yuko Hara et des violonistes Carole Petitdemange et Mi-sa Yang. Elles ont interprété le Quatuor à cordes Op.44 No.1 en ré majeur de Felix Mendelssohn et le Quatuor à cordes No.12 en fa majeur Op.96 dit « l’Américain » d’Antonín Dvorák. Rares sont les quatuors avec une telle cohésion. Les quatre musiciennes mettent leur personnalité au service de l’ensemble et ne forme plus qu’une seule entité. Cela se ressent, d’une part, sur le plan sonore, avec une balance qui frôle la perfection et un jeu d’une précision absolue, mais aussi et surtout sur le plan visuel. Quel plaisir de les voir vivre la musique de manière si homogène ! Les mouvements sont coordonnés, les nuances exacerbées, l’énergie dégagée est démesurée. Définitivement l’un des coups de cœur de ce festival. En bis, tel un écho du récital de Grigory Sokolov du soir précédent, le Quatuor Ardeo nous a proposé une très jolie Chaconne de Henry Purcell.

Un monstre d’orgueil et d’ambition« Henri VIII » de Camille Saint-Saëns

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Un monstre d’orgueil et d’ambition, tel est le Henri VIII magistralement incarné par Lionel Lhote, tel est le Henri VIII que nous propose le metteur en scène Olivier Py.

Henri VIII est un opéra de Camille Saint-Saëns, créé à l’Académie nationale de musique de Paris (aujourd’hui Opéra de Paris) le 5 mars 1883. Un opéra rarement représenté : cette saison, « all over the world », il ne sera à l’affiche que pour cette production bruxelloise ! C’est dire. 

Justifie-t-il ce désintérêt ? Mérite-t-il cette sorte d’exhumation ? Oui et non. C’est une œuvre musicalement bienvenue, de belle orchestration, de belle instrumentation. Et l’on comprend le bonheur d’Alain Altinoglu de nous la faire découvrir. De nous la faire bien découvrir dans la mesure où, très bien suivi par un Orchestre de la Monnaie qu’il a manifestement convaincu et stimulé, il en exalte les richesses. Mais c’est une œuvre qui n’a pas la tension de ces grands chefs-d’œuvre lyriques qui nous emportent inexorablement dans leur déferlement ou qui nous marquent à jamais par l’un ou l’autre épisode de leur partition. 

Elle nous confronte donc à cet Henri VIII dont nous savons tous par infusion culturelle qu’il s’est marié six fois, et que d’ailleurs l’un de ces mariages a provoqué le schisme anglican. Cet Henri VIII dont nous reconnaissons à l’instant le portrait peint par Holbein. Le livret, qui prend des libertés avec l’Histoire, nous invite à le rejoindre au moment où il répudie Catherine d’Aragon, la remplace par Anne de Boleyn et de ce fait quitte l’Eglise romaine avec fracas. Ce livret insère un certain Don Gomez de Féria, ambassadeur espagnol auprès de la Cour d’Angleterre, amant dorénavant rejeté par Anne de Boleyn, mais pour qui elle avait écrit une lettre d’instante recommandation auprès de la reine aujourd’hui ostracisée, une lettre qui pourrait compromettre sa merveilleuse ascension (« l’humble fille d’hier sera reine demain »). Un livret assez linéaire en fait et qui n’abonde guère en « coups d’opéra ».

Olivier Py s’en est emparé dans une mise en scène dont tous les aspects visent à faire du monarque un monstre d’orgueil et d’ambition, un cynique jouant sur tous les tableaux, de la séduction à la menace sans appel (Ses derniers mots : « si j’apprends qu’on s’est raillé de moi, la hache désormais »). 

La première séquence est si révélatrice : Henri VIII entre sur le plateau vêtu d’une redingote noire. Un photographe s’installe. On revêt le monarque d’un manteau et d’un chapeau d’apparat. Henri VIII, tel que l’a imposé pour l’éternité le portrait d’Holbein. Photo. Plus tard, une autre photo, tout aussi majestueuse, sur un faux cheval. Plus tard encore, au début du troisième acte, le roi entre en scène… sur un vrai cheval, incroyable tribune pour des paroles d’autorité et de décisions sans appel.

Souvent, alors que les autres protagonistes sont à l’avant-plan, il est là, à l’affût, à l’écoute. Et même, le voilà batifolant avec une dame d’honneur d’Anne de Boleyn, en négation méchamment ironique de ses grands serments d’affection et de prédilection.

Tout cela s’inscrivant dans une scénographie et des costumes de Pierre-André Weitz, le complice au long cours de Py, qui nous plongent dans un univers surdimensionné, majestueux, dont le noir typique permet des contrastes éclatants avec certains vêtements rouges ou blancs.

Olivier Py est un incontestable créateur de tableaux scéniques époustouflants. Ainsi, la séquence du synode qui se conclura par le schisme : masse rouge vif des prélats rassemblés se métamorphosant, chasubles retirées, en peuple acclamant son roi (un grand moment pour les chœurs !).

Mais Olivier Py, ce sont aussi, qui m’ont moins convaincu, ses éternels beaux jeunes gens quasi dénudés (mais cette fois, un seul « tout nu » : a-t-il été tiré au sort ou l’a-t-il voulu ?) qui doublent les séquences ou en anticipent des réalités futures. C’est aussi ce que j’appellerai un caprice de metteur en scène : cette locomotive qui, au début du deuxième tableau du quatrième acte, surgit sur le plateau en défonçant un mur, tout cela pour dire qu’on est parti à la campagne… Ce sont aussi des séquences chorégraphiées (par Ivo Bauchiero), obligées par le genre certes, dont j’interroge la signification et l’intérêt (mais cette réticence est peut-être liée à ma relation personnelle à la danse).

Mais si cet Henri VIII restera dans notre souvenir, ce sera, et c’est essentiel en l’occurrence, grâce à celui qui l’incarne : Lionel Lhote. Il est, vocalement et scéniquement, le monstre d’orgueil et d’ambition de son personnage. Quelle rage, quelle séduction doucereuse, quelle conviction, quelles menaces dans les intonations de sa voix, dans la conduite et la maîtrise de son chant. Et son jeu corporel est alors comme le prolongement, comme l’exacte visualisation de ce qu’il nous donne à entendre. Quelle maturité ! 

En pleine pomme !  Guillaume Tell à Orange

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Tout le monde connaît la légende du héros suisse Guillaume Tell condamné par le terrible Gessler à tirer un carreau d’arbalète en plein centre d’une pomme posée sur la tête de son fils unique. Ça passe ou ça casse ! C’était à peu près la même chose pour les Chorégies d’Orange avant cette unique représentation de l’opéra marathon de Rossini. Pas le droit à l’erreur… 

Programmation courageuse, défi scénique, technique, vocal et financier, ce Guillaume Tell est une œuvre hors-norme à tous les niveaux. Il n’en fallait pas moins pour marquer les 150 ans des Chorégies qui aiment décidément les odyssées musicales avec bientôt la 8e de Mahler. 

Choix audacieux que nous saluons d’entrée et nous espérons qu’il en appellera d’autres à l’image du Méphistophélès de Boito l’an passé.

Aïda : un opéra de chef ?

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Aida

© Foster.be

Avec sa succession de tableaux grandioses et intimes, héroïques et extasiés, Aïda de Verdi représente un formidable défi pour un metteur en scène, a fortiori lorsqu'il s'agit d'une première à l'opéra pour celui-ci. Stathis Livathinos est en effet issu du sérail théâtral grec. Avoir mis en scène Médée d'Euripide ou L'Iliade d'Homère donne-t-il les clés du monde lyrique ?