Tancrède en son étincelante fluidité

par

0126_JOKERAndré CAMPRA (1660-1744)
Tancrède
Benoît ARNOULD (Tancrède), Isabelle DRUET (Clorinde), Chantal SANTON (Herminie, Alain BUET (Argant), Eric MARTIN-BONNET (Isménor), Erwin AROS/Anne-Marie BEAUDETTE/Marie FAVIER, ORCHESTRE LES TEMPS PRESENTS, dir.: Dominique SERVE, Les CHANTRES du CENTRE DE MUSIQUE BAROQUE DE VERSAILLES, dir.: Olivier SCNEEBELI
2015-3 CD-166'46- présentation, textes et livret en français, allemand, anglais-chanté en français-Alpha 958

Finalement, depuis 1957, année où M. Maurice Barthelemy publiait chez Picard un remarquable ouvrage consacré à André Campra, peu de choses sont venues conférer au musicien aixois soit un surplus d'information, soit de brillants enregistrements qui l'auraient mis à « sa vraie place », après le règne de Lully. Car, qu'on le veuille ou non, Campra est un très beau musicien, à cheval sur les XVII et XVIIIème siècles auxquels il emprunte maintes formes de pensée, maintes philosophie aussi et qui, s'impose, à la fois, comme un successeur de Lully, mais bien plus encore comme un prédécesseur de Rameau : il fait la jonction entre les deux siècles, les deux esthétiques, les deux « manières » d'écrire. Et sa place dépasse de loin celle que certains enregistrements déjà parus lui ont déjà donnée. On pense aux « Fêtes Vénitiennes », à certaines « Cantates Françaises », à « Idoménée » -que révéla en 1982 William Christie- ; on pense au « Requiem » de Gardiner (1893) et qui préparaient à la venue de ce brillant chef-d’œuvre qu'est « Tancrède » (1702).
Cette tragédie lyrique en un prologue et 5 actes, a tout pour se hisser au chef-d’œuvre : une intrigue médiévale souvent reprise en musique ; un livret clair, sans aucune surcharge ; une musique admirablement mise en valeur par tous les interprètes et, au premier chef, par la direction d'Olivier Schneebeli.
La dramatique passion de Tancrède et Clorinde se trouve emprunté à la « Jerusalem délivrée » (1580) de Torquato Tasso (1544-1595) et souvent portée à la scène depuis Monteverdi (1624). Mais, et c'est à souligner, le librettiste de Campra, l'excellent Antoine Danchet (1671-1748) est l'exact contemporain et ami du compositeur. Son texte, d'une rigueur toute classique, semble parfois respecter le style de Corneille - « Mon amour me l'ordonne et la gloire m'en presse » (p. 56 du livret) mais bien plus encore de Racine - « Hélas ! Mon trouble m'a trahie » (p.52), « Je sçauray dans mes fers conserver ma fierté » (p.66) « A la clarté du jour mes yeux vont se fermer » (p.122) et, dernier vers de la pièce (p.124) « Je ne veux, pour mourir, que ma seule douleur » - ... admirable texte !
Et tout aussi admirable musique. Si, çà et là, on devine l'exemple de Lully, c'est, surtout, une exceptionnelle intelligence orchestrale qui nous emporte et nous séduit. Campra donne à ses mélodies une souplesse, un dramatisme que ne connaît pas toujours l'auteur d' « Atys » beaucoup « métrique », une orchestration claire et superbement assumée qui donne un incomparable relief, une étincelante fluidité à toute la partition. En ce domaine, Campra se situe moins près de Lully que de Rameau dont il anticipe la souplesse rythmée et le clair phrasé. Ici, la diction apparaît souverainement efficace. Et les interprètes vocaux ne l'ont pas oublié : félicitons les ainsi que leur chef d'avoir fait cet effort remarquable -nul besoin du livret pour entendre le texte !- qui nous offre une réalisation d'une prodigieuse lisibilité. Cette fois, au disque, après les réalisations scéniques d'Avignon et de Versailles. Il faut souligner également la pertinence de l'orchestration, vive, colorée (trompettes, luth, délicieux emplois de la flûte et des théorbes!) qui souligne mais sans aucune lourdeur, les intentions du musicien. Prise de son due à Philippe Briant, aussi délicate que subtile qui fait vraiment honneur à cette musique.
Comme le chante La Paix  dans l' Air des plaisirs (Prologue) par la voix exquise d'Anne-Marie Beaudette : « Le Plaisir vous appelle/ Il faut l'écouter. »
Bénédicte Palaux Simonnet

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation  10

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