Tedi Papavrami au sommet dans Ysaye

par

0126_JOKEREugène YSAYE (1858-1931)
Sonates pour violon seul, op. 27 - Sonate pour deux violons
Tedi Papavrami
2014-DDD- 61’04 + 29’30 - Textes de présentation en français et anglais- Zig-Zag Territoires ZZT342

Voici un enregistrement éblouissant d’oeuvres qu’on a tendance à vouloir croire réservées aux seuls fanatiques du répertoire virtuose pour violon seul, même si depuis plusieurs années maintenant quelques remarquables enregistrements -dont, parmi les plus recommandables, ceux de Gidon Kremer (Mobile Fidelity), Ilya Kaler (Naxos), Thomas Zehetmair (ECM), Leonidas Kavakos (Bis), Frank Peter Zimmermann (EMI), et surtout le remarquable Oscar Shumsky (Nimbus, hélas desservi par une prise de son assez résonante)- auront tenté de mieux faire connaître ces trésors à un public plus vaste de mélomanes. Mais cette nouvelle parution signée Tedi Papavrami risque bien de mettre tout le monde d’accord, car la version qu’offre la violoniste franco-albanais de cette extraordinaire somme violonistique et musicale est tout simplement exceptionnelle. Ceux qui ne connaissent pas ces splendides oeuvres pourraient être tentés de passer leur chemin en pensant qu’il doit s’agir-là de pièce de pure virtuosité, mais ils passeraient à côté du plus remarquable corpus écrit pour violon seul depuis les Sonates et Partitas de Bach. Si ces dernières ont très certainement servi de point de départ à Ysaye, l’immense violoniste-compositeur belge y a ajouté tous les progrès accomplis par la technique du violon au 19ème siècle, à commencer par les conquêtes de Paganini et de ses successeurs. On demeure également stupéfait de la richesse de pensée harmonique d’Ysaye, qui, par un recours fréquent aux doubles, triples, voire quadruples cordes, donne au violon une profondeur harmonique et une richesse de plans sonores inégalée depuis Bach. Mais ceci ne dit encore rien de la stupéfiante puissance créatrice de l’immense musicien liégeois, qui, dans les pages les plus personnelles de ce cycle, révèle une personnalité forte et souvent tourmentée, avec par moments ce côté fantasque et nocturne qui en ferait un cousin de Schumann ou même de Berlioz. Les six sonates de l’op. 27 sont dédiées à d’illustres violonistes contemporains d’Ysaye (Szigeti, Thibaud, Enesco, Kreisler, Crickboom, Quiroga) et on peut penser qu’elles tentent de dresser une espèce de portrait musical des dédicataires. Ceci se sent par exemple dans la subtilité et le raffinement de la plus classique des 6, la Quatrième, dédiée à Fritz Kreisler, et où l’on retrouve quelque chose du chic fou du grand violoniste viennois, y compris un Finale qui est comme un clin d’oeil au compositeur de si réussis pastiches pseudo-baroques. La Troisième en un seul mouvement, dédiée à Enesco et sans doute la plus connue, coule ici de source, jouée d’un seul jet, avec la force de l’improvisation. L’oeuvre la plus saisissante est certainement la Deuxième sonate, dédiée à Jacques Thibaud, où Ysaye commence par un rappel du Prélude de la Partita en mi majeur de Bach pour ensuite donner libre cours à ses démons intérieurs, alors que le thème du Dies irae grégorien parcourt sans cesse cette fascinante oeuvre, riche de confidences murmurées, d’éclairs et de fulgurances. La Cinquième (dédiée par Ysaye à son élève Mathieu Crickboom) en deux mouvements, n’est pas moins fascinante, avec son Aurore quasi debussyste et sa Danse rustique qui semble annoncer à la fois Bartok (pizzicati de la main gauche) et Britten par sa conduite mélodique.
Tout au long de cet enregistrement, on reste admiratif devant la magnifique prestation de Tedi Papavrami, capable d’allier une maîtrise technique confondante (on reste ébahi par la justesse sans faille, l’usage toujours approprié du vibrato et la magnifique conduite d’archet du violoniste) à une superbe intelligence du discours, couplée à une sensibilité poétique toujours en éveil, ce qui nous vaut une interprétation qui marie superbement exigence intellectuelle et passion. Plus que tout, c’est la continuité du discours qui impressionne, alliée à un souffle et une puissance d’imagination qui ne laissent d’impressionner.
Un deuxième cd comporte la Sonate pour deux violons dédiée à la reine Elisabeth de Belgique, dont on sait qu’elle était une fervente violoniste. C’est une ample oeuvre de près d’une demi-heure et, elle aussi, d’une grande difficulté technique avec des doubles cordes à foison et qui surprend par la richesse harmonique qu’Ysaye parvient à obtenir au départ de huit cordes à peine. Papavrami et son excellent partenaire Svetlin Roussev offrent une interprétation de premier plan de cette oeuvre encore peu connue et riche en beautés.
Patrice Lieberman

Son 10 – Livret 10 – Répertoire 10 – Interprétation 10

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