"The Beethoven Journey" à la Beethovenfest de Bonn

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Bonn. Plus proche que Paris. On a tendance à oublier que Ludwig van Beethoven est notre voisin ! En 1770, il est né au numéro 20 de la Bonngasse, en plein centre ville. Il est vrai qu'il l'a quitté pour Vienne à 22 ans pour n'y plus jamais revenir. Qu'avait-t-il composé alors ? Des oeuvres WoO (Werke ohne Opuszahl, sans numéro d'opus) retrouvées après sa mort ou dont il n'existe que des fragments. On compte là des pièces pour piano -variations, sonatines, un concerto, même-, un quatuor,  un trio à clavier, deux cantates -pour la mort de Joseph II et une autre pour l'avènement de Leopold II- et un seul opus qui deviendra l'opus 103, le célèbre octuor pour deux hautbois, deux clarinettes, deux cors et deux bassons. Comparé à Mozart ou à Schubert, Beethoven ne fut pas un compositeur précoce et il faudra attendre son arrivée à Vienne pour voir publié son opus 1 : les trois trios à clavier.

La maison natale de Beethoven © Michaël Sondermann
La maison natale de Beethoven © Michaël Sondermann

Toutefois, les Bonnois ne le voient pas de la sorte : Beethoven est leur compositeur et son esprit est partout présent dans la ville. Aujourd'hui, le n° 20 de la Bonngasse est devenu la Beethoven Haus qui abrite plus de 150 documents originaux datant des époques bonnoises et viennoises de l'illustre ancêtre. Fondée en 1883 par l'"Association Beethoven-Haus", la maison n'a pas échappé aux monstruosités de la guerre et à des projets immobiliers, et c'est grâce à l'activité de citoyens bénévoles augmentée du soutien de nombreux artistes que Bonn a conservé le précieux joyau que l'on peut visiter aujourd'hui avec émotion. Plus encore, c'est à l'inititative des citoyens qui procèdèrent à une récolte de fonds pour plus d'un million de Deutsche Marks que s'est édifié un autre emblème de la ville : la Beethoven Halle.

Beethoven Halle © Frank Fremerey
Beethoven Halle © Frank Fremerey

Sise au bord du Rhin, la salle de concert conçue dans l'esprit nouveau de l'après-guerre fut inaugurée en 1959 à l'occasion du "Premier Festival Beethoven de Bonn" avec la participation de Sir Yehudi Menuhin. Et dans l'ancien cimetière presqu'au coeur du centre ville, on trouve, pas très loin de l'imposante mais souriante sépulture de Robert et Clara Schumann, la tombe de Maria Magdalena Keverich, la mère de Beethoven sur laquelle on peut lire, gravés sur la pierre, les mots du compositeur : "Elle était pour moi une mère si bonne, si digne, ma meilleure amie".

C'est donc tout naturellement dans l'ancienne capitale de la République Fédérale d'Allemagne que se déroule tous les ans, au mois de septembre, la "Beethovenfest", un important festival qui eut lieu cette année du 6 septembre au 3 octobre.

Prof. Dr. Nike Wagner © Monika Nonnenmacher
Prof. Dr. Nike Wagner © Monika Nonnenmacher

Succédant à Ilona Schmiel partie pour la Tonhalle de Zürich, c'est Nike Wagner, l'arrière petite-fille de Richard et Cosima Liszt, et donc l'arrière-arrière petite fille du compositeur hongrois qui a pris en mains l'intendance du festival qui, évidemment cette année, proposait la programmation d'Ilona Schmiel. Grands orchestres, grands solistes, grands chefs pour célébrer Ludwig van Beethoven : les neuf symphonies par le City of Birmingham dirigé par Andris Nelson, les dix sonates pour violon et piano avec Leonidas Kavakos, le Quatuor Borodine et, jolie idée, de jeunes quatuors pour offrir la musique de chambre des années 1814, 1914 et 2014. Les cinq concertos et la Fantaisie chorale op. 80 s'inscrivaient dans les "Beethoven Journey", Leif Ove Andsnes jouant et dirigeant le Mahler Chamber Orchestra, un voyage qui débutait à Bonn pour se poursuivre durant toute la saison dans d'autres villes d'Europe, en Amérique du Nord et en Asie*, raison pour laquelle Crescendo souhaitait être présent pour ces trois soirées étalées sur quatre jours...

Leif Ove Andsnes © Oezguer Albayra
Leif Ove Andsnes © Oezguer Albayra

Chaque soirée proposait aux côtés de Beethoven une oeuvre pour petit orchestre de Stravinsky. "Bien que leur musique soit différente, Beethoven et Stravinsky ont un point commun dans leur évolution ; tous deux ont fait un grand voyage, sans aucun arrêt, entre leurs premières et dernières oeuvres" diront les interprètes, éclairant leur choix.
Jouer et diriger à la fois. De plus en plus de pianistes réalisent un rêve. Avec plus ou moins de bonheur. On dira que cela se faisait à l'époque. Oui, bien sûr. Mais les instruments ont évolué, les acoustiques également. Le défi n'est-il pas trop énorme ? Leif Ove Andsnes est, on le sait, un magnifique pianiste dont la palette de sonorités se coule au plus profond des méandres de la musique; toujours lumineuses, d'une parfaite pureté, elles détaillent les phrases avec souplesse. Le Mahler Chamber Orchestra est un des meilleurs orchestres de chambre actuels porté par une dynamique sonore, rythmique et mélodique toujours en éveil, un parfait équilibre des pupitres ; les musiciens dégagent un esprit d'entente et de cohésion parfaites, le bonheur de jouer, toutes qualités que l'on retrouve dans les pièces de Stravinsky sous la houlette du concertmeister (Appolon Musagète, Dumbarton Oaks Concerto en mi bémol, Concerto en ré). Que devient ce bonheur de l'écoute lorqu'il s'agit des concertos ? On s'attend au meilleur. Et bien sûr, il y a de très beaux moments, surtout dans le 4e Concerto où le piano se déploie très librement ; Andsnes l'imprègne de toute sa richesse sonore, en dessine les plans, révèle le compositeur rude et tendre à la fois. Magnifique. Le plus beau moment des trois soirées avec aussi le premier mouvement du 3e concerto où la souplesse de l'orchestre complice de la variété de toucher de Andsnes dessinent parfaitement le discours. Si Andsnes est un merveilleux pianiste, il n'est pas un chef, tout au plus signifie-t-il à l'orchestre ses intentions expressives ; ce qui se traduit dans les quatre autres concertos et la Fantaisie chorale. La musique se découpe en blocs et gomme la magie de la main tendue de l'orchestre au piano; les entrées de l'orchestre ne sont pas très nettes la plupart du temps et il n'est pas rare d'entendre bouger les tempi. Contrairement à ce qui paraîtrait évident à première vue, la cohésion entre les protagonistes est moins forte lorsque dirige le pianiste. Un chef peut aussi assurer l'équilibre sonore des pupitres, ce qui faisait aussi défaut assez souvent ici (notamment dans le 1er concerto où l'on entend à peine les cordes alors que se déploient les trompettes et les cors et dans le 5e concerto où le piano est plus d'une fois couvert par l'orchestre). Dans la Fantaisie chorale, l'excellent Choeur de la Radio de Cologne rentre prudemment, sans trop d'assurance, pour ensuite se laisser porter par la musique.
On sort un peu triste de ce marathon musical car, on en est certain, Andsnes et le Mahler Chamber Orchestra s'investissent à fonds dans le voyage... mais il était sans doute trop périlleux, ce qui pouvait peut-être justifier le grand désordre qui présidait à sa dernière, le 5e concerto.
Bernadette Beyne

Bonn, les 25, 27 et 28 septembre 2014

* Rappelons que l'enregistrement "The Beethoven Journey" débuté en 2012 pour Sony Classical vient de se terminer avec le 5e Concerto.

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