Tim Mead et les Musiciens de Saint-Julien revisitent Purcell avec brio

par

Henry PURCELL (1659-1695): « Songs & Dances ». Tim MEAD, contre-ténor – Les Musiciens de Saint-Julien, dir. François LAZARÉVITCH. 2018-66’10"-Textes de présentation et livrets en français, anglais et allemand-Alpha 419.

La plupart des enregistrements consacrés à la musique de Purcell ne traitent que de l’une des deux facettes du compositeur britannique : alors que les uns se concentrent sur le versant taciturne de sa personnalité en nous servant quelques œuvres pour consorts de violes ou chansons (songs) saturniennes, les autres saluent le lustre de ses opéras et semi-opéras, non sans mettre très souvent l’accent sur les suites qui en sont issues, qui nous donnent à entendre un Purcell plus énergique et extraverti. François Lazarévitch et ses Musiciens de Saint-Julien, accompagnés par le contre-ténor Tim Mead, nous proposent ici un programme équilibré, dont l’un des avantages est qu’il ne laisse pas à la lassitude le loisir de s’installer. De fait, ce disque, construit autour d’œuvres vocales, fait également la part belle aux masques. Il met ainsi en exergue la profonde diversité des styles de l’auteur de The Fairy Queen et celle des racines -britanniques (« Fantazia upon a ground ») bien sûr, mais aussi écossaises (« Scotch tune »), françaises (« Chaconne »), voire italiennes- de sa musique. Ceux pour qui les précédentes réalisations discographiques des Musiciens de Saint-Julien n’ont plus de secret ne seront pas surpris de découvrir ici un Purcell impétueux. A la première écoute, cet « esprit de la danse » si cher à ces fabuleux interprètes qui anime la lecture de certains airs -qu’on nous présente traditionnellement sous des traits plus mélancoliques- ne manque pas de désarçonner. Dès la deuxième écoute cependant, le verni des habitudes s’est écaillé et l’on se rend sans réserve à cet élan rythmique qui, sans nécessairement se traduire par une vivacité à tout crin, parcourt la sève même de chaque page. Certes, certains tempi sont endiablés. Mais ce sont davantage le soin apporté aux phrasés et l’inventivité de l’ornementation qui impriment aux vingt pièces figurant sur ce disque cette pulsation vitale qui est la marque de fabrique de Lazarévitch et de son ensemble.

L’effectif instrumental bigarré imaginé par le flûtiste français constitue un autre atout de cet enregistrement. Aux cordes, limitées à deux ou trois instruments, et à la basse continue s’ajoutent ici flûtes à bec, musette et hautbois, un basson, une harpe, ainsi que le cistre, qui, comme le souligne Lazarévitch, confèrent aux œuvres de Purcell une couleur un peu « celtique ».

L’idée de mettre ainsi en lumière, tant par le biais de l’effectif que par celui de la technique instrumentale et vocale, les ponts qui unissent ces pages somptueuses aux danses populaires du XVIIe siècle mérite d’être saluée. Christina Pluhar et son Arpeggiata avaient déjà, il y a quelques années, rapproché Purcell du jazz dans une série d’improvisations très réussies. L’entreprise est, en l’occurrence, moins osée, le lien entre la folk music et les menuets, hornpipes et bourrées, les grounds, chaconnes et autres danses sur fond de basse obstinée composées par Purcell étant sans aucun doute plus évident que la référence au jazz.

Si la plupart des airs que l’on retrouve ici sont fort connus, on aura compris qu’ils reçoivent un nouveau souffle. La nervosité excessive des tempi dans « Strike the viol, touch the lute » en effeuille un peu la grâce. En revanche, le fameux « Air du froid » extrait de King Arthur, et l’illustrissime « O solitude » (sans doute à jamais associé à Alfred Deller), pour ne citer qu’eux, sont d’une grande beauté. Les airs instrumentaux, quant à eux, inévitablement moins fastueux sous les doigts des Musiciens de Saint-Julien que dans l’interprétation de plus grandes formations telles que Les Arts Florissants ou l’English Concert, n’ont, pour autant, rien perdu de leurs vertus saltatoires et se savourent avec un égal plaisir.

Son 10 – Livret 8 – Répertoire 10 – Interprétation 9

 

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