Tradition et efficacité s'allient dans un spectacle réussi

par

Annick Massis et Roberto Taglianini © Opéra Royal de Wallonie - Lorraine Wauters

Lucia di Lammermoor de Donizetti
La tradition a du bon, c'est ce que tout habitué de l'Opéra Royal de Wallonie se dit au sortir de chaque spectacle. Et celui-ci n'a pas fait exception. Après un luxueux Ernani et un amusant Barbier de Séville, la troisième production de la saison suit la même voie : une mise en scène classique, parfois conventionnelle mais toujours convaincante, un plateau équilibré, serti de quelques grandes voix, des choeurs et un orchestre maison en parfaite adéquation. Si cette formule remplit la salle d'un public ravi, le but est atteint : pour un ouvrage plus rare, une présentation directe qui permet de le découvrir (ce sera le cas avec Manon Lescaut d'Auber, en avril prochain); pour un opéra du grand répertoire, une présentation parfois innovante mais avant tout efficace et respectueuse. La Lucia di Lammermoor proposée par le Directeur de l'ORW, Stefano Mazzonis di Pralafera, également metteur en scène, illustrait bien cette option. Décors pittoresques et sombres, de Jean-Guy Lecat, costumes somptueux de Fernand Ruiz, lumières adéquates de Franco Marri, tous participaient à l'illustration dramatique voulue par la mise en scène, laquelle soulignait le caractère inéluctable d'une intrigue romantique à souhait. Rien n'était appuyé et tout restait fidèle à l'esprit. Les sentiments exacerbés des protagonistes donnaient lieu à des sommets d'exaltation à plusieurs reprises, tels le duo Enrico-Lucia, le final de l'acte II et, bien évidemment, au dernier acte, la scène de la folie de Lucia et le monologue funèbre d'Edgardo. Tous ces passages, célèbres et attendus, ont été regardés et écoutés avec la plus vive attention, puis applaudis avec chaleur. D'autant plus que, dominée par la Lucia d'Annick Massis, la distribution atteignait un très haut niveau. Liège avait invité l'illustre soprano française pour une émouvante Manon de Massenet, en octobre 2014. La revoici pour notre plus grand bonheur dans un rôle fétiche, où elle a pu  démontrer l'essence de son art : un grand souci du legato, une aisance souveraine dans la vocalise, et une évidence tant vocale que théâtrale : tout semble couler de source. En ont témoigné un miraculeux "Regnava nel silenzio" et une saisissante scène de la folie. L'expression dramatique provenait de la ligne de chant même : c'est là tout l'art de cette belcantiste hors pair. Acteur plus limité, le jeune ténor ténérifien Celso Albelo lui a donné une parfaite réplique, particulièrement dans le duo du premier acte. Quant à la puissance requise par ce beau rôle, il a pu en faire preuve dans le sextuor, et dans sa scène finale, très ressentie. Autre première apparition sur les planches principautaires, celle de Roberto Tagliavini, un Raimondo exceptionnel, à la basse aussi onctueuse que sévère, incarnant ainsi avec intelligence un personnage de compromis. Ivan Thirion campait un bon Enrico, méchant comme il se doit, mais joliment chantant. Le pauvre Arturo (Pietro Picone) n'a que peu à chanter, mais son chapeau était orné de deux magnifiques plumes ! En outre, il se fait tuer sur scène. Alexise Yerna (Alisa) et Denzil Delaere (Normanno) jouaient les utilités. Sous la direction de son nouveau chef Pierre Iodice, le choeur a livré une superbe prestation, autant dans la puissance (finale II) que dans la grandeur tragique (à l'apparition de Lucia folle). Grand expert du répertoire, le chef espagnol Jesus Lopez-Cobos menait un orchestre des grands jours, avec une confondante efficacité théâtrale, totalement au service de la partition. Le public ne s'y est pas trompé et lui a réservé une splendide ovation. Sans oublier le soliste de l'(h)armonica de verre (l'instrument qui rend fou ?) qui illuminait les vocalises d'Annick Massis durant la scène de la folie, fort applaudi aussi. En conclusion, une très belle présentation d'un pilier du répertoire, dans la plus parfaite tradition de la maison.
Bruno Peeters
Liège, Opéra Royal de Wallonie, le 22 novembre 2015

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