Un beau moment de spiritualité musicale

par

Théodore Dubois : Les Sept Paroles du Christ
La vénération des sept paroles prononcées par Jésus-Christ crucifié remonte au XIIème siècle. Tirées des quatre évangiles, elles devinrent un sujet de méditation, un exercice spirituel. Les musiciens s'en sont rapidement emparés, frappés par leur contenu dramatique. A l'instar d'autres textes religieux, tels le Requiem, la Passion ou les Leçons de ténèbres, ces paroles ont inspiré bon nombre de compositeurs, de Schütz (1662) à Goubaïdoulina (1982).

La France du XIXème siècle connut une magnifique floraison d'oratorios (Berlioz, Massenet, Saint-Saëns, Paladilhe), et trois d'entre eux abordent précisément ce thème douloureux entre tous : Charles Gounod (1855), César Franck (1859), puis Théodore Dubois en 1867. C'est cette oeuvre qui a été présentée à Bruxelles, à l'Abbaye Notre-Dame de la Cambre, par son Maître de chapelle, Anthony Vigneron, à la tête de son Ensemble Vocal, de l'Orchestre Royal de Chambre de Wallonie, et de quatre solistes : Julie Calbète (soprano), Ivan Goossens (ténor), Marcel Vanaud (baryton) et Mathias Lecomte (orgue). Vigneron avait choisi la version originale, et non celle pour grand orchestre, plus couramment jouée. L'effectif instrumental comprenait donc : quintette à cordes, flûte, hautbois, clarinette, basson, cor, trois trombones, harpe, timbales et orgue. Il s'agissait dès lors d'une première, en quelque sorte, donnée avec grand succès devant un public nombreux et fervent, et rehaussée par la présence de Francis Dubois, arrière-petit-fils du compositeur, venu tout exprès de Montpellier. Il m'a confié avoir été enchanté par l'interprétation. Celle-ci, en effet, s'est révélée remarquable. Le concert a débuté par l'exécution, en première mondiale, d'un bref "Pie Jesu" a capella, puis par une introduction de Vigneron retraçant l'historique de la partition. Ensuite, les sept paroles du Christ ont été lues au public, en français. L'oeuvre, courte et dense ne dure qu'une petite heure. Il est difficile de tout mentionner, mais je voudrais citer l'air initial de soprano, bien défendu par une Julie Calbète à froid, interrompu par le choeur féroce sous la croix, l'admirable Stabat Mater de la troisième parole ("Mulier, ecce filio") concluant par un joli duo "Qui es homo", puis une poignante cadence plagale, l'air dramatique du baryton "Deus meus", chanté par un Marcel Vanaud n'ayant rien perdu de sa superbe, au contraire, ou la sixième parole, lorsque Jésus s'exclame "Tout est consommé", bel air de ténor lyrique, qui convient on ne peut mieux à Ivan Goossens. A l'instar de Haydn dans ses propres "Sept paroles", Dubois termine par un tremblement de terre (vagues furieuses des cordes, cris des trombones, solo d'orgue). Un choral des cuivres précède enfin le choeur final, doux et apaisé. Après cet intense moment de spiritualité, Vigneron gratifia l'assemblée d'un petit bis, le Cantique de Jean Racine, de Fauré. Les choeurs de l'Ensemble Vocal de l'Abbaye de la Cambre ont fourni un travail d'ensemble, de précision et de ferveur fabuleux : ils furent très applaudis, tout comme l'orchestre et ses solistes individuels, appelés par le chef : flûte, clarinette, alto, violoncelle, harpe et timbales. Théodore Dubois a beaucoup écrit, et bon nombre de ses oeuvres peuvent être taxées d'académisme stérile. Tel n'est pas le cas de ces Sept Paroles du Christ, vraiment très inspirées : l'oeuvre s'inscrit bien dans cette tradition de musique sacrée française que l'on redécouvre petit à petit : elle mérite des exécutions plus fréquentes. Appel au Palazzetto Bru Zane qui a déjà tant fait pour Théodore Dubois : à quand un enregistrement moderne de cette oeuvre si exaltante ?
Bruno Peeters
Bruxelles, Abbaye de la Cambre, le 10 mars 2015

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