Un chef mahlérien, Jonathan Nott ! 

par

Quel mahlérien d’envergure est Jonathan Nott ! Après une tournée d’une quinzaine de jours qui a emmené en Amérique du Sud l’Orchestre de la Suisse Romande et qui a remporté de délirants succès tant au Théâtre Municipal de Rio de Janeiro qu’au Colon de Buenos Aires, il clôture la saison à Genève et à Lausanne en présentant la Troisième Symphonie en ré mineur de Gustav Mahler, l’une des plus redoutables quant à l’exécution, puisqu’elle inclut les bois et cuivres par quatre (avec même cinq clarinettes et huit cors), timbales, percussion, cloches et glockenspiel, harpes et cordes, auxquels s’ajoutent une voix d’alto solo, le chœur de femmes et le chœur d’enfants. Et le chef dirige le tout par cœur !D’un geste péremptoire, il attaque la première partie, le plus long mouvement instrumental jamais écrit par le compositeur. Les huit cors à l’unisson imposent un tempo di marcia dont les registres graves et la percussion dégagent la composante mystérieuse qu’acidifieront les trompettes. Avec une louable précision, les cordes dessinent divers motifs qui s’enflent avant de retomber afin de laisser la place au violon solo dialoguant avec le hautbois ; est évoquée ainsi une nature rassérénée qui finira par s’assombrir avec les tutti s’avançant comme d’infernales fanfares. La deuxième partie débute par un ländler dont les premiers violons magnifient la générosité en étirant les phrases pour les amener à une exubérance et à une élégance toute viennoise. Le Scherzando baigne ensuite dans une atmosphère bon enfant dont les trilles et aigus grinçants dénotent la charge ironique ; mais dans le lointain, un cor de postillon fait planer un parfum champêtre lourdement nostalgique que tenteront d’attaquer les stridences d’un bastringue grossier. Néanmoins le sublime apparaît avec les paroles « O Mensch ! Gib Acht ! », énoncées solennellement par le contralto magnifique de Mihoko Fujimura, hiératique comme une déesse de la nuit. Puis la Maîtrise du Conservatoire Populaire de Musique de Genève (préparée par Magali Dami et Fruzsina Suromi) éveille par ses « bimbam » juvéniles les femmes de l’Ensemble Vocal de Lausanne (préparées par Daniel Reuss) afin de dépeindre la cuisine des anges provenant en droite ligne du ‘Des Knaben Wunderhorn’ d’Achim von Arnim et Clemens Brentano. Et le Finale laisse affleurer sous de douloureuses larmes une expression soutenue qui ne pourra minimiser de déchirantes tensions avant de conclure par des accents triomphants affirmant une sérénité retrouvée.
Paul-André Demierre
Genève, Victoria Hall, le 24 mai 2018

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.