Un concert, sans doute, mais quel concert !

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Roméo et Juliette (Gounod) à Bruxelles
Le principe de l’opéra en concert peut se justifier pour plusieurs raisons dont la principale est sans doute financière, car il élimine l’aspect non musical : mise en scène, costumes, décors, qui pèsent lourd dans une production. En outre, certaines oeuvres (opera seria, bel canto) supportent mieux ce vide scénique que d’autres, par manque de ressort dramatique ou par l’inintérêt de l’intrigue. Par contre, le drame romantique voit naître l’art de la mise en scène et vise tout autant le spectacle que la musique. Il est dès lors dommage d’en gommer le côté visuel. En fait, ce principe est surtout appliqué aux oeuvres rares, et sert au moins à les présenter à défaut de les représenter : l’Otello de Rossini à La Monnaie, l’an dernier, I Due Foscari de Verdi, bientôt à l’Opéra Royal de Wallonie, ou Le Mage de Massenet, à Saint-Etienne, en novembre 2012. C’est ainsi que, de Massenet toujours, le directeur de La Monnaie, Peter de Caluwe, envisage bientôt de donner Esclarmonde. Ceci dit, Roméo et Juliette de Gounod n’est ni rare ni inintéressant au niveau théâtral : heureusement, la qualité de la musique et la perfection de l’interprétation au Palais des Beaux-Arts ont pu faire taire ces commentaires chagrins. Un seul bémol peut-être, pour en terminer sur l’option du concert : l’indigence du programme de salle, dépliant limité à un article général, la liste des numéros, la distribution et une petite biographie des artistes. Nous sommes loin des magnifiques livres illustrés accompagnant les productions “montées”. La réussite du Roméo et Juliette de Gounod réside en sa parfaite adéquation avec le drame de Shakespeare. Génie de la mélodie, le compositeur articule sa partition autour de quatre duos intensément lyriques, sertis dans un écrin provenant directement du Grand Opéra, dont il fut aussi un digne représentant (La Nonne sanglante, La Reine de Saba). L’admirable interprète de l’amour frémissant, qui rénova l’opéra français avec Faust puis Mireille, se sent, bien sûr, on ne peut plus à l’aise ici. Servie par une pléiade de chanteurs incomparables, l’oeuvre a démontré son exceptionnelle puissance d’émotion. John Osborn s’est affirmé récemment comme le ténor que ce répertoire attendait depuis longtemps. Rappelons-nous son Raoul des Huguenots, à La Monnaie ou son Arnold de Guillaume Tell, à Amsterdam : un nouveau Nourrit ? Sa célèbre cavatine “Ah ! Lève-toi, soleil” atteint l’extase voulue, et les duos s’enchaînaient, plus voluptueux l’un que l’autre (la fin du second atteignait au sublime). Voilà un ténor à la voix pure et ensoleillée, qui jamais ne crie ni ne force : tout est évident avec lui, au simple service de la musique. Tout un répertoire n’attend que sa présence pour revivre, d’autant plus que son français est impeccable, ce que l’on ne peut hélas pas dire de Nino Machaidze. Très nuancée et ressentie, sa Juliette n’offre pourtant que du bonheur, dès ses quelques mots “…c’était Roméo…” après la première rencontre au bal. Toute frémissante d’émoi dans les duos, elle possède aussi la force nécessaire pour aborder le difficile air du poison à l’acte IV. Voilà une Mireille idéale ! Si les autres rôles sont relégués au second plan, ils n’en étaient pas moins vaillamment défendus. Jérome Varnier, qui fut un beau Marcel des Huguenots, chante à merveille le superbe legato des deux interventions du frère Laurent, et Paul Gay, très présent en Capulet, évoquait parfois José Van Dam par la pureté de la ligne. Lionel Lhote, Mercutio au rôle bien court, se taille un beau succès dans la « Ballade de la Reine Mab », tout comme Angélique Noldus dans l’adorable chanson du page Stephano “Que fais-tu, blanche tourterelle ?”. Citons encore le sonore duc de Vérone, de Patrick Bolleire, l’imposante nourrice de Carole Wilson ou le cauteleux Tybalt de Tansel Akzeybek. L’aspect Grand Opéra requiert bien sûr un choeur important : ceux de La Monnaie, renforcés par le Vlaams Radiokoor et le Vocaal Ensemble Reflexion s’acquittent à la perfection de leur tâche, en particulier au troisième acte, le plus théâtral. C’est ici aussi qu’on l’on put apprécier l’agilité et la virtuosité de l’orchestre maison, très à l’aise tout au courant de l’exécution, tant dans l’intimité que dans la puissance (prélude II, Le Sommeil de Juliette, au V). Sous la direction experte d’Evelino Pido, il est certainement un artisan capital de la réussite de la soirée.
Bruno Peeters
Palais des Beaux-Arts, le 21 mars 2013

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