Un "Enlèvement" plus vrai que nature

par

Wolfgang Amadeus MOZART (1756 - 1791)
Die Entführung aus dem Serail K. 384
Robin Johannsen (Konstanze), Mari Eriksmoen (Blonde), Maximilian Schmitt (Belmonte), Julian Prégardien (Pedrillo), Dimitry Ivashchenko (Osmin), Cornelius Obonya (Selim), RIAS Kammerchor, chef de choeur : Frank Markowitsch, Akademie für Alte Musik Berlin, dir.: René Jacobs
2015-2h40'-Textes de présentation et livret en français, allemand, anglais-Harmonia Mundi HMC 902214.15
Avec l'Enlèvement, René Jacobs arrive tout doucement à boucler une intégrale des grands opéras de Mozart dont on peut encore attendre Mithridate et Lucio Silla. A chaque fois, le chef propose une écoute renouvelée du répertoire qui ne laisse jamais indifférent. Pour ce Singspiel créé à Vienne en 1782 avec grand succès, il opte pour une version "Hörspiel" -utilisée déjà pour La Flûte mais dans une moindre mesure-, c'est-à-dire un "drame radiophonique" mieux traduit encore par "une mise en scène sonore" qui place l'auditeur au coeur d'un théâtre imaginaire : on entend se déplacer les personnages, la fureur du fouet d'Osmin, la "marche turque" entendue au loin à l'appel des janissaires, les douze coups de minuit, les hululements de la chouette, le pépiement des oiseaux,... On ferme les yeux et l'Enlèvement nous en donne plein les yeux. Dans la notice toujours très soignée qui accompagne l'enregistrement, René Jacobs explique ses choix et en donne les raisons. La première est l'idée que Mozart n'était pas doctrinaire de l'unité dramatique mais bien de son contraire, la diversité dramatique. Aussi ne craint-il pas d'"improviser" à la partition des ajouts tels des citations de pièces de Mozart pour musicaliser les dialogues parlés, le tuilage entre les récitatifs et les arias, les interventions suggestives du pianoforte ajoutant ci-et-là une touche d'humour (les allers et retours de l'échelle au 2e acte!). Une autre raison est l'importance que Jacobs rend aux dialogues parlés repris ici dans leur intégralité et qu'il a entièrement remaniés pour leur donner des accents aussi actuels que possible. Cela fait de l'Enlèvement au Sérail un opéra de 2h40' ! Comme toujours avec René Jacobs, l'écriture tant musicale que textuelle est fouillée et rendue dans les moindres détails. La direction est incisive, claire, dynamique et la prise de son rend magnifiquement la spatialisation du "Hörnspiel". On regrettera parfois une caricaturisation excessive comme les turqueries appuyées des cymbales et des percussions. Le chef a réuni une équipe jeune, malléable et à l'écoute qui, vocalement, ne détonne guère mais compense par d'excellentes qualités dramatiques : une Konstanze prude, sensible et déterminée, une Blondchen plus légère, un Belmonte noble aux phrasés soignés, un Pedrillo plus gouleyant, un Osmin plus ridicule que jamais, l'ensemble se déployant de façon homogène. Une écoute renouvelée donc que l'on pourra écouter après le régal que procurait, en 1949, Ferenc Fricsay avec le même RIAS Kammerchör et RIAS Symphonie Orchester réédité chez Audite.
Bernadette Beyne

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10

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