Un Enlèvement prudent

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Reprise du 21 janvier au 15 février au Palais Garnier. Jürgen Maurer (Selim), Erin Morley (Konstanze), Anna Prohaska (Blonde), Bernard Richter (Belmonte), Paul Schweinester (Pedrillo), Lars Woldt (Osmin) © Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

On dit que le croissant pâtissier a été inventé lors du siège de Vienne par les Ottomans. Les choses les plus horribles peuvent donc inspirer les plus charmantes, à l'instar des turqueries de Molière ou ce «Belmont et Constance ou "l'Enlèvement au sérail" de Bretzner qui sert de livret (remanié profondément) à l'opéra de Mozart. Néanmoins, l'évidente actualité des supplices et atrocités évoqués sur scène comme la condition présente de la femme en terre d'Islam ont sans doute découragé toute velléité d'«actualisation» et inhibé une mise en scène (Zabou Breitman) prudente. Elle n'en profite pas non plus, pour nous infliger une lecture lutte des classes marxiste pimentée de sado-masochisme rock (dans le hangar 7 de l'aéroport de Salzburg en 2013, par exemple !). Elle a juste quelques jolies idées, cantatrice -oiseau, coque de bateau qui s'ouvre, orchestre sur scène- mais qui ne sont pas vraiment menées à leur terme. On en a l' explication avec le personnage de vieillard allongé sur le côté de la scène pendant tout le spectacle et qui incarne, pour elle, l'esprit du décorateur disparu en 2013. Si bien, qu'en définitive, la violence du présent et le deuil personnel se conjuguent pour offrir un spectacle centré sur la seule partition. D'autant que le chef Philippe Jordan a choisi de n'effectuer aucune des coupures habituelles. Il ne cherche pas non plus à atténuer le caractère composite de cette œuvre de transition dans la création mozartienne. Ainsi le contraste net entre les grandes scènes «sérieuses» des amoureux et les éléments «bouffes» ressort nettement. Il ne cherche pas non plus à fluidifier le lien entre ces éléments encore loin de la fusion que le compositeur mènera à sa perfection avec la Trilogie Da Ponte. Ce regard tendre et curieux, comme celui qu'on pose sur l'atelier d'un génie, n'est pas si fréquent. Douceur un peu mélancolique inspirée de «La Flûte enchantée» de Bergman avec ses décors de carton pâte et son parti-pris d'humanité. A cette différence près, que la référence à un tableau -ici scènes de sérail de Josep Tapiro i Baro ou de George Clairin- fige l'action dramatique dans une dimension fixe et plane. En outre, ici, l'esthétique kitsch-salle polyvalente orientalisée des fonds de scène n'est pas toujours flatteuse (fleurs multicolores en papier crépon). Heureusement, la distribution germanophone met en valeur les joyaux d'émotion, de charme et d'invention de cet opéra. Certes, Catarina Cavalieri, élève et maîtresse de Salieri, qui fut la créatrice du rôle de Konstanze chanta également Elvire à la première viennoise de «Don Giovanni» (1788) et la Comtesse de «Nozze» en 1789, ce qui suppose une carrure vocale plus charpentée que celles distribuées actuellement. Format léger donc, pour Erin Morley mais on ne s'en plaindra pas car le timbre est ravissant, pur et la musicienne de premier ordre. Actrice amusante, Anna Prohaska est une Blonde parfaite aux prises avec l'excellent Osmin de Lars Woldt. Bernard Richter a la prestance et le timbre d'un Belmonte mais manque de suavité et de souplesse pour emporter les suffrages. Paul Schweinester bondit comme on l'attend de Pedrillo tandis que Jürgen Maurer de belle prestance bien qu' un peu enroué dans son rôle parlé, conclut en majesté avec le renoncement et le pardon magnanime qui sous-tendent toutes les œuvres de Mozart. Le Choeur et l'Orchestre vaillamment menés au port sont vivement applaudis. Le message fraternel de Mozart est passé.
Bénédicte Palaux Simonnet
Opéra National de Paris, le 1er novembre 2014    

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