Un fascinant ‘Jérémy Fisher ‘ d’Isabelle Aboulker

par

© Isabelle Meister

A côté de la saison régulière du Grand-Théâtre, la programmation des spectacles lyriques à Genève offre parfois des surprises de taille. Ce fut le cas le week-end dernier avec ‘Jérémy Fisher’, l’opéra pour enfants d’Isabelle Aboulker présenté à Chêne-Bougeries par la compagnie Opéra-Théâtre ; en 2001, sa fondatrice, Michèle Cart, metteur en scène, avait instauré une section junior pour faire découvrir l’opéra aux jeunes en produisant une autre œuvre d’Isabelle Aboulker, ‘La Fontaine et le corbeau’.

Cette fois-ci, le choix s’est porté sur ‘Jérémy Fisher’ d’après la pièce de théâtre de Mohamed Rouabhi. Ce conte moralisateur avec un arrière-goût cruel est centré sur un petit garçon pas comme les autres qui va raconter lui-même sa surprenante existence : il est le fils d’un marin pêcheur, Tom, qui avait vu disparaître un mousse happé par une vague énorme. Lorsque sa femme donne naissance à Jérémy, le bébé a les mains et les pieds palmés ; mais les parents vont respecter sa différence : plutôt que de l’enfermer dans un aquarium en le gardant auprès d’eux, ils le laisseront prendre la mer afin qu’il puisse mener sa vie de poisson.
Quelle musique que celle composée par Isabelle Aboulker en 2007 ! Avec de simples mots qui sonnent toujours justes, le jeune Jérémy chante ses faits et gestes tandis qu’un chœur d’enfants dévoile ses pensées. Les parents concrétisent le bon sens face à un médecin dépassé par les événements et à un vendeur d’aquariums tout aussi marginalisé. La partition révèle un modernisme modéré qui permet une compréhension aisée du texte en laissant affleurer les élans de tendresse dans le duo parental et une note d’humour dans les relents nostalgiques d’une mélodie swinguée ou d’une valse langoureuse. Le canevas instrumental est constitué par un quatuor à cordes habilement utilisé, même si, bien modestement, la compositrice met en doute ses compétences en la matière : qu’elle se rassure, car la limpidité de texture est évidence ! Et ici les solistes en herbe du Quatuor Ernest sont à la hauteur du propos.
Dans un cadre scénique conçu par Claire Peverelli, des costumes d’Anna Pacchiani et Valentine Savary, des lumières de Marc Heimendinger, la mise en scène de Michèle Cart est d’une rare efficacité en faisant asseoir les enfants, dos tourné au public, puis en leur faisant commenter l’action tout en s’apitoyant sur l’étrange destinée de leur camarade de jeu. Une fois de plus, il faut saluer chapeau bas le travail titanesque accompli par Magali Dami et Fruszina Suromi à la tête de la Maîtrise du Conservatoire populaire ; car sans la moindre présence d’un chef ou d’un répétiteur leur donnant les entrées, les gosses se repèrent à l’oreille en débitant par cœur leurs interventions à l’intonation souvent difficile. Et le jeune Simon Berrebi est touchant sous les traits de Jérémy quand Marie-Camille Vaquié-Depraz et Sacha Michon campent un couple si crédible dans son doute et ses inquiétudes. Irrésistibles, le Médecin d’Anthony Paccot, le Vendeur d’Oscar Emeraude. En résumé, l’indéniable succès d’un véritable opéra pour enfants qui fascine le public de tous âges.
Paul-André Demierre
Chêne-Bougeries, Salle Jean-Jacques Gautier, première du 23 mars 2018

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