Un Faust saisissant au Teatro Regio de Turin

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Après douze ans d’absence, le Faust de Charles Gounod reparaît à l’affiche du Regio de Turin dans une production de Stefano Poda (qui a conçu mise en scène, décors, costumes, éclairages et chorégraphie) ; et l’effet en est aussi fascinant que celle de Thaïs présentée en cette même salle en décembre 2008. 

Au cœur de parois corrodées par l’érosion, un gigantesque anneau, symbole d’un pacte entre l’homme et le non-être, circonscrit le lieu d’action ; en se dressant, il laisse apparaître un arbre calciné, une croix, un entrelacs de liens suggérant une prison. Faust et Méphisto arborent des tenues de voyageur, butant contre l’orgie de rouge des buveurs, le noir et blanc des bourgeoises, le grisâtre squelettique des damnés peuplant la nuit de Walpurgis (avec restitution d’une partie de la musique de ballet). Et la baguette de Gianandrea Noseda galvanise l’importante formation chorale et orchestrale, en lui imposant une tension narrative qui ne se relâche pas un seul instant en plus de trois heures de spectacle. Le seul défaut majeur du plateau est une élocution française aux bornes de l’Incompréhensible, ce qui, outre le chœur, concerne la Dame Marthe de Samantha Korbey, le Siebel de Ketevan Kermoklidze, plutôt bien chantant au demeurant, et le Valentin taillé à coups de serpe de Vassily Ladjuk. Malgré une prononciation tout aussi défectueuse, Irina Lungu possède la brillance du soprano léger (pour l’air des bijoux) et les moyens d’un grand lyrique, résistant jusqu’aux élans frénétiques du trio final. Produisent une meilleure impression tant le Faust de Charles Castronovo, véritable lirico spinto à l’élégance de ligne à la fois vocale et scénique, que le Méphisto d’Ildar Abdrazakov, démiurge aux accents vainqueurs manipulant autant le sarcasme que l’ironie, alors qu’il est aujourd’hui au sommet de sa forme. Paul-André Demierre Turin, le 7 juin 2015

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