Un grand pianiste en devenir

par

Jean-Frédéric Neuburger
Frédéric Chopin : Sonate pour piano no. 3, op. 58 - 

Michael Jarrell : Étude pour piano - 

Robert Schumann : Kreisleriana, op. 16
Toujours dans le cadre des "Piano Days", le Studio 1 de Flagey recevait ce week-end le jeune pianiste français Jean-Frédéric Neuburger dans un programme fort exigeant pour tout pianiste. La Troisième Sonate de Chopin est jouée de manière très intelligente, bien construite et très posée. On sent que Neuburger est aussi compositeur car son oreille est très développée quant à l'écoute harmonique et rythmique des oeuvres. La pièce contemporaine de Jarrell le prouvera. On peut considérer ce jeune pianiste comme un digne représentant de l'école française de piano :  jeu fluide, délicat, clair et très perlé. Dans le deuxième mouvement de la Sonate de Chopin, la clarté et la vitesse de la main droite sont impressionnantes ; on avait oublié que ce jeune homme avait enregistré une très belle intégrale des Études de Chopin et de L'Art de délier les doigts. Techniquement, ce pianiste français est plus qu'à l'aise. Il prend toujours son temps pour chanter les mélodies, les timbrer et utilise subtilement la pédale. Par moments dans Chopin on aurait aimé un peu moins de rubato car la structure parfois s'épuise à force de l'élargir. Appréciation bien personnelle, il va sans dire. Neuburger s'assoit très haut au piano ce qui ne l'empêche pas d'avoir un son très puissant et rond, notamment dans le final de la Sonate de Chopin. Dans l'Etude de Jarrell (compositeur contemporain suisse), oeuvre commandée pour le deux-centième anniversaire de la naissance de Liszt, Jean-Frédéric Neuburger fut littéralement incroyable. On le sent très à l'aise dans cette musique qui demande une concentration permanente, une technique à toute épreuve et un grand sens des couleurs et des ambiances. Durant 10 minutes, le public est resté scotché devant la performance de Neuburger face à une partition réputée diaboliquement difficile. Les notes répétées de cette oeuvre étaient magnifiquement bien jouées ; claires, aérées et d'une régularité suisse. L'oeuvre fut jouée comme si elle était un classique ; c'est-à-dire qu'elle n'était pas jouée en tant "qu'oeuvre contemporaine obligée pour éduquer le public habitué aux compositeurs du passé" mais comme oeuvre qui avait bel et bien sa place entre Chopin et Schumann en tant qu'oeuvre-hommage à Liszt. Le concert s'est terminé avec les Kreisleriana de Schumann. Ce fut un grand moment de poésie et de finesse. Hier on a pu entendre Jean-Philippe Collard et rapprocher son jeu de celui de Vladimir Horowitz, cet après-midi les Kreisleriana de Neuburger n'avaient rien à envier à celles du géant russe. Chacun son style et sa manière d'envisager cette musique mais défendre cette oeuvre comme il l'a fait nous confirme que ce jeune musicien est en train de devenir un grand pianiste français. Science des couleurs, lyrisme fier et tendre typique de Schumann et clarté des lignes parfaite. La liste laudative est longue. Ce qui est assez fascinant, c'est qu'à chaque note Neuburger est concentré, il n'est pas jamais débordé et donne l'impression de toujours savoir où il va. Combien de pianistes donnent parfois l'image d'être débordé quand le tissu musical s'amplifie et se complexifie ! Neuburger a de ça en commun avec un pianiste comme Marc-André Hamelin : être toujours maître de soi et sûr de soi. Ce qui est une chance car cela permet une écoute facile et sans peur pour l'interprète. Le piano de Jean-Frédéric Neuburger respire l'intelligence et l'écoute de soi. Un concert où l'on aurait aimé voir la salle bien plus remplie…
François Mardirossian
Bruxelles, Flagey, Studio 1, le 22 février 2014

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