Un jeune pianiste d’exception, Rafal Blechacz  

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Dans le cadre de sa série ‘Les Grands Interprètes’, l’Agence de concerts Caecilia avait réinvité Murray Perahia ; mais pour des raisons de santé, l’artiste a dû annuler sa tournée. En lieu et place a été sollicité un jeune pianiste polonais de trente-trois ans, Rafal Blechacz, qui s’est fait remarquer en octobre 2005 en s’adjugeant tous les prix et la médaille d’or du Concours Chopin de Varsovie avant de remporter le prestigieux Gilmore Artist Award en 2014.

Au Victoria Hall, le 30 octobre, son programme a commencé par deux pages de Mozart ; ‘la mineur’ est la tonalité qui relie le Rondò K.511 et la Sonate K.310 : une indicible tristesse nimbe la première pièce qui émeut par la limpidité du jeu, laissant affleurer un fourmillement d’idées contrastées, tout en irisant les fins de phrases d’un semblant de sourire. Dans la même couleur tragique s’insère ensuite la Sonate K.310 qui progresse inexorablement vers une mélancolie pesante, avant de passer à un andante cantabile dont la sobriété retenue s’appuie sur la ponctuation des basses, puis à un finale où la précision du trait dégage la charge obsessionnelle de la fuite en avant.

Le Beethoven de l’opus 101 arbore un tout autre caractère, car cette 28e Sonate en la majeur baigne d’abord dans une nonchalance que de subtiles demi-teintes rendent élégiaque, tandis que le Vivace qui suit est négocié avec une énergie qui bannit toute dureté. Le bref Adagio tient de la confidence murmurée à fleur de lèvres, alors que le Finale a la clarté de texture d’une fugue faisant alterner les deux mains avec maestria.

La seconde partie du programme comporte l’une des grandes œuvres de Schumann, la Deuxième Sonate en sol mineur op.22 que Rafal Blechacz aborde avec frénésie, comme s’il se livrait à une course à l’abîme, zébrée de fulgurantes lumières. Par opposition, l’Andantino n’est que poésie intimiste, quand le Scherzo joue sur de surprenants contrastes rythmiques nous rappelant l’esprit du Carnaval op.9 ; et le Rondò renoue avec l’aspect effréné du début, tout en laissant pointer de subtils ‘rallentandi’ en points d’interrogation.

Le récital s’achève magistralement par deux grandes pages de Chopin ; car le pianiste a la judicieuse idée de proposer les quatre Mazurkas de l’opus 24 écrites entre 1834 et 1835, suivies de la Grande Polonaise en la bémol majeur. Dans les petites pièces, il affiche sa maîtrise du rubato en osant  le pianissimo le plus ténu pour désarticuler le contour mélodique, les demi-teintes primesautières ou la nostalgie plaintive. Ce cheval de bataille qu’est la Polonaise opus 53 datant de 1842 acquiert panache et brillance par la faramineuse technique d’octaves, tout en laissant s’épandre les voix intérieures dans le Sostenuto. En bis, le Deuxième des Intermezzi op.117 de Brahms, arachnéen comme le jeu de ce pianiste hors du commun.

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, 30 octobre 2018.

Crédit photographique : Rafał Blechacz / Marco Borggreve

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