Un Liszt à couper le souffle et un pianiste à (re)découvrir

par

JOKERJulius KATCHEN (piano)
Oeuvres de Liszt, Brahms, Beethoven, Schumann et Chopin
1962-1964-ADD-59'25 et 49'41-Textes de présentation en anglais et allemand-Audite 21.419 (2 cd)Pianiste d'exception aux moyens colossaux, Julius Katchen fut aussi un être de souffrance, touché par la leucémie à l'âge de 42 ans. Il fut de cette génération d'artistes hors-pair que les turbulences du début du 20ème siècle poussèrent, le plus souvent enfants ou adolescents encore, vers le havre de paix qu'étaient les Etats-Unis. Issu d'une famille de Juifs russes immigrés dans le New Jersey, Katchen appartient à une catégorie de pianistes nés à la même époque que la presse américaine rassembla sous le vocable OYAP (Outstanding Young American Pianists), qu'ils soient natifs des USA ou naturalisés, et parmi lesquels on compte Eugen Istomin, Leon Fleisher, Claude Frank, Gary Graffman, William Kapell, Jacob Lateiner ou Abbey Simon. Tous les mélomanes se souviennent de Katchen pour sa formidable intégrale de l'oeuvre pianistique de Brahms, un des fleurons du catalogue Decca. Pour la même firme, il grava également une série particulièrement brillante de concertos de Beethoven, Prokofiev, Brahms, Bartok, Liszt, Grieg, Mozart, certains deux fois, avec des chefs de la stature de Monteux, Ansermet, Kertesz, Gamba, Argenta, Münchinger ou Maag, le tout servi par des prises de son dont le label britannique avait le secret. Ajoutons-y encore une poignée de Chopin d'anthologie, les sonates pour violon et les trios de Brahms, quelques pages somptueusement ciselées de Dohnanyi, Gershwin, Britten, Mendelssohn, Moussorgsky, Schumann, Schubert, Balakirev... Ce legs discographique d'une qualité exceptionnelle contribua à bâtir la réputation hors du commun de cet artiste qui figure aujourd'hui au panthéon des plus grands serviteurs du piano. Contrairement à un Richter ou à un Gilels, par exemple, Katchen n'eut pas la chance d'être souvent capté hors des studios des firmes de disques. Un disque ICA nous livrait assez récemment quelques pépites piochées en concert entre 1958 et 1967, presque des miettes dont la maigreur nous laissait sur la faim. A part cela, rien ou presque, jusqu'à ce merveilleux album que nous offre Audite aujourd'hui. Quel choc! Et quelle aubaine! La première de ces gravures qui nous sont proposées, toutes issues de la radio berlinoise entre 1962 et 1964, est l'une des plus phénoménales lectures de la sonate de Liszt qu'il m'ait été donné d'entendre. Elle ne se compare en réalité à rien de ce que le disque a pu nous livrer par ailleurs: grâce à sa technique inégalable et sans failles, Katchen pouvait aller jusqu'au bout de sa conception de l'oeuvre, sans être freiné par les difficultés sans nombre de la redoutable partition. Son Liszt est d'une force quasi tellurique, immense et en même temps empreint d'une vie en mouvement permanent, souvent à la limite de la violence et de la rage, mais toujours suprêmement maîtrisé. Un grand moment de piano qui ne se compare à aucun autre et qu'il faut absolument avoir entendu. Le premier disque est complété par les sept fantaisies opus 116 et deux des pièces de l'opus 118 de Brahms, auxquelles il faut joindre le scherzo opus 4 qui ouvre le second cd. La comparaison avec les gravures de studio, contemporaines, est passionnante mais on ne pourra s'empêcher de chérir les unes et les autres. Plus policé, plus élégant, peut-être, pour Decca, on trouvera ici une immédiateté plus évidente, un tutoiement avec l'oeuvre plus prononcé. Irrésistibles et virtuoses, ses Beethoven (Variations WoO 80 et Rondo opus 129) sont ludiques et pleins de malice, tandis que quatre pièces de Chopin nous font regretter qu'il n'ait jamais envisagé de graver une intégrale ou, à défaut, une vaste anthologie. La Berceuse opus 57 qui referme cet album compte au nombre des plus belles et s'impose par sa beauté toute simple et pure. Un exemple de magie en musique, à l'instar de la totalité de cet album à thésauriser sans hésitation.
Bernard Postiau

Son 8 - Livret 8 - Répertoire 10 - Interprétation 10

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