Un méconnu du grand public : le pianiste Josef Bulva joue Franz Liszt

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Grandes Etudes d’après les ‘Caprices’ de Paganini : n.3 en sol dièse mineur ‘La Campanella’ & n.4 en mi majeur ‘Arpeggio’ / Etudes d’exécution transcendante : n.5 en si bémol majeur ‘Feux follets’ – n.8 en ut mineur ‘Chasse sauvage’ – n.9 en la bémol majeur ‘Ricordanza’ – n.11 en ré bémol majeur ‘Harmonies du soir’ / Rhapsodie espagnole / Sonate en si mineur / Rhapsodie Hongroise n.2 en ut dièse mineur / Polonaise n.2 en mi majeur / Méphisto Valse n.1 /Concerto pour piano et orchestre n.1 en mi bémol majeur (Orchestre Symphonique de Radio Luxembourg / direction : Daniel Nazareth) Enregistrements de studio réalisés entre 1960 et 2014
2015 – 2 CD 62’14 / 62’31   Texte de présentation en anglais et en allemand RCA/SONY MUSIC 88775073052

Singulière carrière que celle de Josef Bulva, né à Brno le 9 janvier 1943. Enfant, il étudie le piano à l’école de musique du village de Napajedla en Moravie. Mais c’est la rencontre du professeur Vaclav Lanka qui s’avère déterminante ; car pendant des heures lui est imposée une discipline de fer qui, en l’espace de deux ans et demi, lui fera acquérir une virtuosité exceptionnelle. A treize ans, Josef se produit en public en jouant un concerto de Mozart, plusieurs études de Liszt et les ‘Variations sur un thème de Paganini’ de Brahms. Et le gouvernement tchécoslovaque l’envoie au Conservatoire puis à l’Académie des Arts de Prague où il remporte tous les prix qui font de lui un soliste d’état. Mais la carrière s’interrompt en 1971 à la suite d’un accident qui nécessite une hospitalisation ; puis une première tournée à l’étranger le pousse à émigrer et à devenir citoyen luxembourgeois. Résidant souvent à Munich, travaillant avec plusieurs compositeurs sur l’évolution des structures musicales, il se voit définir par le critique Joachim Kaiser comme le ‘pianiste de l’ère scientifique’. Mais en mars 1996, Josef Bulva glisse sur une route verglacée et se blesse grièvement à la main gauche. Armé d’une volonté de fer, il entreprend une rééducation auprès du professeur Beat Simmen à Zürich ; parallèlement, il collabore avec les techniciens de la firme Steinway pour développer l’utilisation de la pédale du milieu et mettre ainsi en évidence certaines particularités de l’écriture pianistique. Après treize années de silence, il reparaît en scène durant l’hiver 2009, ce qui amènera le tournage d’un documentaire. Et, au printemps 2015, RCA publie le double CD que voici, consacré à ses enregistrements lisztiens réalisés entre 1960 et 2014.
De 1960, justement, date la gravure pragoise de deux des ‘Etudes d’après Paganini’ (Apeggio et La Campanella) révélant un jeu d’une extrême clarté, irisé de nuances suggestives. Dix ans plus tard, il s’attaquera pour Supraphon à la Rhapsodie espagnole dont il emportera avec lui les bandes à l’ouest ; mais leur détérioration l’obligera à procéder à un nouvel enregistrement, époustouflant par son brio, même si l’artiste y déplorera un certain manque de fluidité. En 1974, c’est le tour de la Deuxième Polonaise, burinée à la pointe sèche, tandis que, l’année suivante, sera captée la plus célèbre des Rhapsodies Hongroises, la Deuxième en ut dièse mineur, révélant un respect scrupuleux du texte et une ‘friska’ absolument ahurissante. De très bonne facture, les trois Etudes d’exécution transcendante datant de 1983, comportant des ‘Feux follets’ sautillants comme les braises, une ‘Chasse sauvage’ au débit trop haché, mais surtout des ‘Harmonies du soir’ baignant dans un clair-obscur intensément poétique. En 1984, Josef Bulva confie aux micros son interprétation de la Sonate en si mineur, toute de noblesse et de pondération, sans cette connotation méphistophélique qu’affichait la version Horowitz de décembre 1932. Avec l’Orchestre Symphonique de Radio Luxembourg dirigé par Daniel Nazareth en 1991 est élaboré un Premier Concerto en mi bémol majeur qui cultive le lyrisme intérieur en évitant d’exagérer les dynamiques, tout en modelant un scherzo (allegretto vivace) arachnéen par sa légèreté. Finalement, en 2014, l’artiste de 71 ans nimbera d’un jeu perlé ‘Ricordanza’, la neuvième des Etudes transcendantes et livrera ‘Méphisto Valse’ sans forcer le trait pour déployer de magnifiques contrastes de coloris. A découvrir cette netteté du trait dans un répertoire où règne ostensiblement l’esbroufe !
Paul-André Demierre

Son 8 - Livret 5 - Répertoire 9 - Interprétation 8

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