Un nouveau départ pour la Monnaie

par

Alain Altinoglu © Marco Borggreve

Même si Alain Altinoglu ne prendra officiellement ses fonctions de directeur musical de la Monnaie qu’en janvier 2016, les hasards de la programmation faisaient qu’il se retrouvait pour la première fois depuis l’annonce de sa nomination à la tête de l’orchestre et du choeur de la maison bruxelloise (auquel se joignaient pour l’occasion le Vlaams Radio Koor ainsi que dix-sept jeunes chanteurs encore aux études dans différents conservatoires du pays, et sélectionnés par les soins de la MM Academy) pour offrir au public le magnifique Requiem de Berlioz qui, sauf erreur de ma part, avait été donné pour la dernière fois à Bruxelles par ces mêmes forces de la Monnaie dirigées à l’époque par Kazushi Ono.Nulle surprise donc de voir le Palais des Beaux-Arts faire salle comble pour ce qui était déjà la deuxième exécution de l’oeuvre, déjà donnée la veille. Et, disons-le tout de suite, ce qu’on entendit permet d’espérer de très belles choses de la part du chef français dont on peut souhaiter que le mandat se déroulera dans une atmosphère plus propice à un travail sérieux et de longue haleine que ce ne fut le cas pour ses deux prédécesseurs.
Quand on pense au Requiem de Berlioz, on a généralement tendance à n’en retenir que le côté colossal voire mégalomane (le plateau offert par la Monnaie comptait exactement 201 exécutants, chef compris) et beaucoup moins les pages de tendresse et de douceur qui ne manquent pas dans une oeuvre où Berlioz sait se montrer tour à tour massif et terrifiant, doux et implorant.
Ce serait faire injure à l’oeuvre et à la version qu’en donnèrent les impressionnantes forces rassemblées ici, que de ne mettre en exergue que le côté spectaculaire -voire terrifiant- de certaines pages, dont le phénoménal "Tuba mirum", avec ses quatre choeurs de cuivres répartis sur les balcons de la salle Henry Le Boeuf ainsi que ses cinq timbaliers déchaînés (sans compter la grosse caisse) qui, chaque fois qu’on l’entend stupéfie de la même façon et dont on peut penser que si cette musique ne vous amène pas à la contrition et au repentir, c’est que rien ne le fera. Et encore, ceci ne dit rien de la beauté qui parcourt l’oeuvre, depuis le Kyrie introductif, humblement implorant, jusqu’à l’Agnus Dei final, solaire et enfin apaisé. Mais les beautés de l’oeuvre sont multiples, tant dans le traitement de l’écriture chorale que dans les nombreuses trouvailles d’orchestration de Berlioz, comme dans le "Quid sum miser" confié uniquement aux voix d’hommes accompagnées par les seules cordes graves et les vents, ou encore l’alliance des voix d’hommes, des trombones et des flûtes dans le "Hostias". Et que dire de l’implacable et si poignant "Lacrymosa", véritable coeur émotionnel de l’oeuvre, ou de la tendre supplication de l’Offertoire?
L’intervention du ténor Steve Davislim (remplaçant Eric Cutler, souffrant) dans le Sanctus fut excellente, avec la douceur requise en dépit de la tessiture exigeante et sans la moindre ombre de sentimentalisme. Il faut féliciter les musiciens de l’orchestre et des choeurs qui s’engagèrent sans réserve en faveur de celui qui sera très bientôt leur chef permanent, et qui dirigea une belle exécution de cette oeuvre aussi belle que rare au concert avec une autorité tranquille et une irréprochable connaissance de la partition. Certes, il arriva au choeur -sans doute emporté par son enthousiasme- de hurler dans les passages forte, et on ne peut davantage nier que bien du travail attend les cordes de la Monnaie pour retrouver la ductilité et la beauté sonore qu’on est en droit d’attendre de cet ensemble. Mais il serait injuste de mettre en doute la bonne volonté de cet orchestre -encore convalescent mais manifestement plein de bonne volonté- auquel on espère que ce chef intelligent et musicien redonnera bientôt une véritable identité sonore.
Patrice Lieberman
Bruxelles, La Monnaie, le 6 novembre 2015

Les commentaires sont clos.