Un nouvel "Heritage" pour les mélomanes ? Étonnant et intéressant !

par

Sergei Rachmaninov (1873-1943)
HERITAGE, Oeuvres pour deux pianos
Suite n°1, op. 5 - Suite n°2, op. 17 - Danses symphoniques, op. 45

Alexander Kobrin & Frédéric D'Oria-Nicolas, pianos
2012-DDD-49'25'' et 34'33'' - Texte de présentation en français et anglais - Fondamenta FON-1302011

Quel héritage, le titre de ce multiple CD évoque-t-il ? Celui du compositeur, des interprètes, de la technique. Une proposition de réponse viendra en fin de chronique.
Première surprise : ce "double" CD nous offre, en fait, quatre "compact discs", deux qualifiés de "Fidelity", les deux autres de "Mobility". L'éditeur le précise : Le Fidelity CD est la version de référence destinée aux systèmes audio haute-fidélité. Le Mobility CD est une version adaptée aux écoutes sur baladeur, ordinateur ou en voiture.
Deuxième surprise : l'acoustique de l'enregistrement au merveilleux arsenal de Metz transformé par le célèbre architecte espagnol Ricardo Bofill.
Troisième surprise : l'importance de la technique mise en oeuvre ; sans entrer dans trop de détails techniques, il s'agit principalement du système Devialet D-Premier qui offre une qualité musicale pratiquement sans distortion ni bruit de fond en réusissant la gageure de marier l'analogique et le numérique.
On le voit, la technique sonore sous tous ses aspects est primordiale dans la réalisation.
Reste l'aspect musical et c'est la quatrième surprise : l'étonnante synergie des deux pianistes, le russe Alexander Kobrin et le français Frédéric D'Oria-Nicolas, créateur et directeur artistique du label Fondamenta. Tous deux sont de la même génération ; Frédéric D'Oria-Nicolas est né en 1979 à Paris, Alexander Kobrin en 1980 à Moscou. Ce dernier remporte le concours Van Cliburn en 2005 - on l'appelle parfois le Van Cliburn d'aujourd'hui. Ils partagent la même classe de la pédagogue russe Tatiana Zelikman. C'est dire que liées à une longue amitié, leurs conceptions musicales sont proches - un énorme avantage pour la symbiose fusionnelle indispensable dans l'interprétation des oeuvres pour deux pianos.
Ajoutons que ce programme d'oeuvres pour deux pianos de Rachmaninov couvre la carrière de Rachmaninov ; Il a 20 ans quand il écrit, en 1893, la première suite op. 5. Elle est connue aussi sous le nom de Fantaise-Tableaux, une prémonition des Etudes-Tableaux (pour seulement deux mains) qui viendront bien après. Elle est postérieure de quatre ans au premier concerto pour piano (1889) et précède de deux ans la première symphonie (1895). La seconde suite (1890) ouvre la grande période créatrice ; elle est contemporaine du second concerto pour piano popularisé par le film Brève rencontre de David Lean en 1945 et, plus tard en 1984, par le Partir, revenir de Claude Lelouch. Dernière oeuvre du compositeur et seul oeuvre écrite pendant son exil aux Etats-Unis, les Danses symphoniques op. 40 de 1940 sont initialement écrites pour Eugène Ormandy et l'orchestre de Philadelphie. Rachmaninov en fera directement une réduction pour deux pianos qu'il créera avec Vladimir Horowitz, Gorowitz comme il se plaisait à l'appeler. La troisième danse nous fait entendre le Dies Irae et en fin de la partition, Rachmaninov écrit : I Thank Thee, Lord, Je te remercie, Seigneur. Si on remarque aussi les titres que le compositeur voulait donner aux trois danses Midi, Crépuscule, Minuit, on comprend l'essence vitale de Rachmaninov, son pessimisme, sa compassion et la profondeur de son romantisme exacerbé. La critique assassine l'oeuvre qui sera ressucitée par Kyril Kondrachine dans sa version orchestrale et Martha Argerich pour l'alterantive pianistique; O tempora, o mores !
Enfin, d'où provient alors ce titre principal d'Heritage qui reçoit les plus grands caractères et une encre dorée en couverture de cet album ? A vous de décider ! Pour ma part, la réponse se trouve sur le site WEB de la firme française Devialet dont le matériel a été utilisé ici : "Can technology preserve our sensitive and fragile artistic heritage ?" La technologie peut-elle sauvegarder notre délicat et précaire héritage artistique ?
Jean-Marie André

Son 10 – Livret 9 – Répertoire 9 – Interprétation 10

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