Un répertoire peu connu : la cantate dramatique

par

JOKERLuigi CHERUBINI (1760-1842)
Médée, ouverture et air de Néris - Circé
Xavier BOISSELOT (1811-1893)
Velléda
Louis-Ferdinand HEROLD (1791-1833)
Ariane
Charles-Simon CATEL (1773-1830)
Sémiramis, ouverture

Karine DESHAYES (mezzo-soprano), Opera Fuoco, dir.: David STERN
2013-DDD-77'13''- Textes de présentation en français et anglais-chanté en français - Zig-Zag Territoires ZZT337

Sous l'intitulé "Cantates romantiques françaises", Zig-Zag Territoires offre un fort beau et original florilège d'un genre très en vogue au début du XIXème siècle en France : la cantate dramatique. Issue du monde baroque, la scène lyrique pour voix et orchestre a connu une grande fortune en Italie, puis en France, comme l'explique l'intelligente notice d'Alexandre et Benoit Dratwicki, âmes du Palazzetto Bru Zane - Centre de musique romantique française, dont ce CD pourrait figurer comme production emblématique. Une cantate se présente comme suit : prélude instrumental, récitatif, air, récitatif, air final. Circé (1789) de Cherubini, en est un parfait exemple. L'intérêt se centralise surtout sur les récitatifs, faisant, comme à l'opéra, avancer l'action, les airs suspendant celle-ci pour la commenter. La scène du bûcher décrite par Cherubini, avec force trombones, est un bel exemple du talent de l'auteur pour l'art dramatique. Le CD propose également la fougueuse ouverture de Médée dans une orchestration inédite pour une reprise qui n'a jamais eu lieu, et l'air de Néris, avec basson concertant. Très intéressante est bien sûr cette Velléda de Xavier Boisselot, par laquelle cet obscur compositeur remporta le Prix de Rome en 1836. L'argument est connu par la cantate de Dukas, que Musicales Actes-Sud vient d’enregistrer. Tiré des Martyrs de Chateaubriand, il narre les amours impossibles d'une Gauloise et d'un Romain, à l'instar de Norma (Irminsul est cité). Voici l'exemple parfait d'une oeuvre académique impeccablement composée, témoignant d'un talent dramatique indéniable. Elle inclut un joli cantabile Fille coupable puis un final tragique, plutôt meyerbeerien et de belle allure(Les Huguenots ont été créés la même année 1836). Mais qu'est devenu Xavier Boisselot ? Il a mené une carrière dans la facture de piano. Peu importe, sa cantate est intéressante. Beaucoup plus ingénieuse, voici l’Ariane d'Herold, musicien qui, lui, fit une carrière splendide mais éclair, car fauché bien trop tôt. Demeuré célèbre pour deux opéras-comiques, Zampa et Le Pré-aux Clercs, (celui-ci se retrouvera salle Favart l'an prochain), Herold est l'auteur aussi de deux fort belles symphonies, de concertos pour piano et de quatre quatuors à cordes. Sa cantate n'obtint pas le Prix en 1811: qu'à cela ne tienne, il l'aura l'année suivante. Elle traite bien évidemment de l'abandon d'Ariane sur l'île de Naxos. Très descriptif, son orchestre se signale dès le prélude pastoral puis dans la peinture de la "mer étincelante". On reconnaît déjà un maître du cantabile dans Fils de Vénus et on admirera la splendide modulation sur A ce coeur enivré te rend plus cher encore. Toute la fin, avec l'allusion aux terribles Euménides, révèle déjà la patte d'un grand musicien dramatique. Ce CD termine par la magnifique ouverture de Sémiramis de Catel, dont le même Palazzetto Bru Zane avait publié l'intégrale avec le Concert spirituel d'Hervé Niquet. Répertoire passionnant donc, mis en valeur par le prodigieux tempérament de Karine Deshayes, qui le porte littéralement sur ses épaules. On ne soulignera jamais assez l'importance primordiale de l'interprète quant à la redécouverte d'un répertoire oublié. Pareille chanteuse, par la puissance de son incarnation, magnifie une partition, même mineure (Boisselot), tout comme une Véronique Gens avait revivifié un Auguste Mermet dans son CD Tragédiennes 3". Gloire donc à ces chanteuses qui par leur talent font revivre brillamment tout un répertoire qui n'attendait qu'elles. Gloire aussi à l'Opera Fuoco de David Stern, qui comprend exactement le rythme de cette musique d'un XIXème siècle décidément bien plus riche que nous ne le croyions.
Bruno Peeters

 

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