Un Rosenkavalier de belle tenue à Wroclaw

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Pour ceux qui ne la connaîtraient pas, Wroclaw -future ville européenne de la culture en 2016- est l’une des villes les plus agréables d’Europe centrale. L’ancienne Breslau n’est pas encore envahie par les foules de touristes qui submergent ses voisines de Prague et Cracovie, et se laisse très agréablement découvrir. Outre la beauté de son site naturel et de ses monuments, la métropole silésienne des bords de l’Oder assure une offre culturelle de qualité: université, musées, théâtres, galeries d’art, et bien sûr opéra.
L’opéra de Wroclaw est un opéra de répertoire qui propose quasi quotidiennement des spectacles lyriques (et de ballet) en alternance, ce qui suppose, bien sûr, de disposer d’une troupe maison suffisamment étoffée  pour assurer cette considérable quantité de représentations (pour le seul mois d’avril, 17 opéras et un ballet).
Il me fut déjà donné d’assister, il y a bientôt quatre ans, à une très convaincante version du Roi Roger de Szymanowski, et lors de ma récente visite sur les bords de l’Oder, c’est d’une représentation d’excellente qualité du Chevalier à la rose de Strauss que je pus être témoin.
Si l’on se fie aux costumes de Malgorzata Sloniowska, la mise en scène de Georg Rootering situe l’action aux alentours de 1920-1930, même si les les nombreux laquais qu’on voit sur scène portent des livrées qui n’auraient pas déparé dans le 18ème siècle envisagé par le livret de Hoffmansthal. La mise en scène de Georg Rootering, très soignée, est traditionnelle dans le meilleur sens du terme. Elle bénéficie d’un décor très réussi de Lukas Noll, avec un élément particulièrement saisissant qui apparaît au premier acte au moment du grand lever de la Maréchale, et qu’on retrouve à partir du divin trio final. Il s’agit, dans le fond de la scène, d’un immense élément ovale tournant sur son axe et, renfermant une ellipse avec, à son tour, en son centre un cercle. L’une des faces de ces figures est revêtue de miroirs, et -l’ellipse perpendiculaire à l’ovale, et le cercle à l’ellipse- elles tournent lentement sur elles-mêmes, symbolisant sans doute l’un des grands sujets de l’opéra, l’inexorabilité du temps qui passe.
Si le Rosenkavalier repose bien sûr sur trois grandes voix féminines, toujours si choyées par Richard Strauss, il demande aussi une distribution homogène et de qualité, avec, pour tous les rôles des chanteurs de caractère. Et ici aussi, on put apprécier la qualité de la distribution maison, avec une Maréchale convaincante en la personne de la soprano Magdalena Barylak  (de l’Opéra de Cracovie, soliste invitée) et la mezzo Katarzyna Haras, dont le physique svelte et le timbre aux reflets métalliques conviennent très bien aux exigences du rôle d’Octavian. Le Baron Ochs était confié au baryton Tomasz Rudnicki qui présenta, à juste titre, le hobereau comme un homme jeune plutôt que comme le vieux roué revenu de tout qu’on nous montre parfois. Mais les deux plus belles incarnations furent celles de l’excellent baryton Boguslaw Szynalski, dont le timbre d’airain et le physique imposant conférèrent une épaisseur inhabituelle au rôle de Faninal (on aimerait bien l’entendre en Amfortas ou Boris Godounov qui figurent à son répertoire), et surtout Joanna Moszkowicz en Sophie (fille du précédent): physique ravissant, voix crémeuse, technique irréprochable - une belle carrière devrait attendre cette jeune artiste.
Mais le Chevalier à la rose est aussi un opéra de chef(fe), et Ewa Michnik dirigea le vaillant orchestre de l’opéra de Wroclaw et son beau plateau avec maîtrise et netteté, faisant ressortir tous les détails de l’écriture straussienne sans que les chanteurs ne soient jamais submergés. On a connu Rosenkavalier plus délicieusement velouté et viennois, mais cette version était vraiment de belle tenue, montrant qu’on opéra de qualité peut très bien se passer du star system international. Ceci rend d’autant plus étonnants les applaudissements tièdes, juste polis, qui saluèrent les chanteurs et la cheffe à l’issue de la représentation, et pas le moindre rappel. Curieux.
Patrice Lieberman
Wroclaw Opéra, le 25 avril 2015

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