Un spectacle qui oublie la passion amoureuse

par

@Karl Forster
Brandon Jovanovich (Des Grieux) Aris Argiris (Lescaut) Guillaume Antoine (Un sergente & L'Oste) Eva-Maria Westbroek (Manon Lescaut)

A Bruxelles
Manon Lescaut (Puccini)
Troisième opéra du Maître après un succès initial (Le Villi) et un fiasco (Edgar), Manon Lescaut, créé à Turin en 1893, propulsa définitivement Puccini sur la scène internationale. Cet opéra, par son sujet,  reste un peu dans l’ombre de la Manon de Massenet, qui fit la gloire de son aîné en 1884. Puccini en était très conscient et a tenté de se démarquer de son illustre collègue. Un bon siècle plus tard, il faut se rendre à l’évidence : le français est plus brillant. Mais le futur auteur de La Bohème démontre déjà tout son génie, celui avant tout d’une invention mélodique héritière de la grande tradition italienne, et puis aussi d’une orchestration raffinée, fort nouvelle à l’époque... Le chef d’orchestre, Carlo Rizzi, ne l’a peut-être pas assez mise en valeur, jouant plus sur le volume, efficace au théâtre bien sûr. Dommage. Eva Maria Westbroeck incarne une Manon vocalement superbe mais dramatiquement un peu succincte, ce qui étonne de la part de l’extraordinaire Lady Macbeth de Mzensk (Chostakovitch) qu’elle fut, par exemple. La représentation à laquelle j’assistai a été un peu particulière en ce sens qu'on eut droit à deux chevaliers Des Grieux. Brandon Jovanovitch, malade, céda son rôle à l’entracte à son collègue de la seconde distribution, Hector Sandoval. Si celui-ci a fort bien chanté, il ne possédait hélas ni charisme ni surtout le legato lyrique de son prédécesseur. Giovanni Furlanetto déclama un Geronte correct mais fatigué. Excellent Lescaut en revanche d’Aris Argiris, parfait dans son rôle de frère (et non cousin comme chez Massenet) de Manon, et mention spéciale à Julien Dran, Edmundo en technicien de surface, brillant dès les premières mesures. Bilan vocal globalement positif donc. Hélas, la mise en scène de Mariusz Trelinski a noyé l’oeuvre en occultant son aspect fondamental: le drame passionnel. Car qu’est  l’histoire de Manon Lescaut sinon une magnifique et désespérée histoire d’amour ? Il n’en transparait rien dans la mise en scène. Uniformément sombre, situé dans un décor unique de métro (avec bruits,  de rames récurrents), le drame se déroule sans aucune variété. Ah oui, il y avait une baignoire aussi. Soyons corrects, certaines scènes sont visuellement réussies quand même: le désarmant madrigal au II, dérivé de la juvénile Missa di Gloria interprété par quatre filles pop avec micro, ou l’appel des prostituées qui constitue l’essentiel du troisième acte, assez lugubre et impressionnant. Mais c’est à peu près tout. Les deux premiers actes manquent du brillant requis par le livret. Le dernier acte nous réservait le pire: pas de désert et Des Grieux dort au lieu de chercher à boire. Grotesque. Et l’irruption finale d’une seconde Manon crée la confusion totale. Tout cela est d’une froideur extrême, aux antipodes de l’adieu torride voulu par Puccini. On peut sans doute torturer le livret de Tosca ou de Turandot, opéras très connus, mais pas celui de Manon Lescaut, qui méritait sa chance et qui ne l’a pas eue.
Bruno Peeters
Bruxelles, La Monnaie, le 29 janvier 2013

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