Un spectacle réussi sans doute, mais imparfait

par

Anne-Catherine Gillet © Hofmann / La Monnaie

Béatrice et Bénédict
Pour cette nouvelle production de l'opéra-comique de Berlioz, La Monnaie inaugurait son "Palais", véritable ville dans la ville, un chapiteau de 500 m2, pouvant contenir 1100 places, installé sur le site industriel de Tour & Taxis", ancienne gare de marchandises désaffectée. Jusqu'à l'achèvement des travaux au bâtiment original, soit en décembre de cette année, les spectacles se donneront ici. Le directeur général, Peter de Caluwe, l'a rappelé en ce jour de première, après la minute de silence dédiée aux victimes des attentats du 22 mars suivie d'une "Brabançonne" émue.

Béatrice et Bénédict n'a pas trop bonne presse. Comme le soulignait Henry Barraud, c'est "un chef-d'oeuvre de musique, mais pas un chef-d'oeuvre de théâtre, (...) sorte de pénible marivaudage qui se traîne lourdement durant deux actes". Le ressort dramatique du livret est en effet des plus minces : Béatrice et Bénédict vont-ils finir par s'aimer ? C'est exactement comme dans Paride ed Elena de Gluck. Pour pallier ce manque, le metteur en scène Richard Brunel a pris le taureau par les cornes : il revient à la trame originelle de Shakespeare (Much Ado About Nothing), et rétablit carrément l'élément central supprimé par Berlioz, à savoir le complot ourdi par le jaloux John pour faire apparaître Hero comme infidèle à Claudio et ainsi capoter leur mariage. Ce rôle infâme est ici endossé par le pauvre musicien Somarone, qui devient soudain le villain de l'affaire. Du coup, les dialogues parlés ont été réécrits. Qu'en penser ? On pourrait  croire que Berlioz avait ses raisons pour agir de la sorte, et trouver Brunel effronté ou, au contraire, le remercier pour avoir ramené un peu de nerf dans une pièce exsangue. Chacun jugera. Il reste que le rôle de Somarone est complètement modifié (pourquoi n'avoir par réintroduit John, alors ?) et que toute la fin de l'opéra prend une coloration quasi tragique qui ne semble pas du tout voulue par Berlioz. Musicalement, les interprètes ont été très fidèles au compositeur, à commencer par le chef Jérémie Rohrer et un orchestre de La Monnaie en pleine forme. Tout a pétillé, tant dans les ensembles que dans les passages choraux, et le lyrisme pointait l'oreille quand il le fallait (les deux air des dames, par exemple, ou le duo nocturne). L'opéra fait la part belle aux voix féminines. Le personnage central d'Hero était magnifiquement chanté par Anne-Catherine Gillet, voix idéale dans ce rôle si pur, tant dans son air initial "Je vais le voir" que dans le sublime duo "Nuit paisible et sereine" où elle s'alliait parfaitement à la mezzo Eve-Maud Hubeaux (Ursule). Très à l'aise sur scène, Stéphanie d'Oustrac incarnait une Béatrice plus vraie que nature, vive, amusée, narquoise et enfin... amoureuse. Sa grande scène au second acte "Il m'en souvient" ? : une magnifique leçon de chant et d'art dramatique ! Les rôles masculins ont été moins bien lotis par Berlioz. Julien Dran, joli timbre et excellent acteur, a brillé dans Bénédict, et ses deux airs, tout emplis de vif-argent, ont enchanté le public, comme l'amusant duo avec Béatrice. Frédéric Caton (Don Pedro) et Etienne Dupuis (Claudio) jouent les utilités.  Quant à ce pauvre Somarone, vu et revu par la mise en scène, il ne reste plus rien de la figure caricaturale voulue, et dans laquelle on a cru deviner Cherubini, Spontini, Rossini et même Berlioz, en veine d'autodérision. Privé d'amusement, Lionel Lhote, très présent et si doué pour la comédie, n'a pu jouer qu'un Iago au petit pied. Même le vin de Syracuse ne l'a pas déridé.
La seconde distribution, sous la direction de Samuel Jean, comprend Sophie Karthäuser (Héro), Michèle Losier (Béatrice) et Sébastien Droy (Bénédict).
Bruno Peeters
Palais de la Monnaie, Tour & Taxis, le 24 mars 2016

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