Un Stravinsky sans relief

par

Igor STRAVINSKY (1882-1971)
Oedipus Rex (révision de 1948) – Apollon musagète (révision de 1947)
Jennifer JOHNSTON (Jocaste), Stuart SKELTON (Oedipus), Gidon SAKS (Creon), David SHIPLEY (Tiresias), Fanny ARDANT (récitante), Monteverdi Choir, Orchestre Symphonique de Londres, dir.: John Eliot GARDINER
2013-SACD-79'13-Textes de présentation en anglais, allemand et français-LSO Live LSO 0751
Nous ne manquons pas de versions réussies du puissant chef-d'oeuvre de Stravinsky qu'est Oedipus Rex. Deux petites remarques cependant: la partition est interprétée dans sa révision de 1948 et le récitant est ici une récitante, et illustre: Fanny Ardant prête sa voix rauque, sévère et d'une diction impeccable au texte grandiloquent mais efficace de Cocteau (et que Stravinsky n'aimait d'ailleurs pas), un rôle qu'ont tenu, avant elle, un Jean Desailly (avec Ancerl), un Jean Vilar (avec Ansermet), un Gérard Depardieu de nos jours (avec Gergiev) ou, en anglais, un Ralf Richardson (avec Colin Davis), pas moins! Le choeur, personnage majeur de cet « opéra-oratorio », brille d'une virtuosité époustouflante, ce qui n'étonne pas quand on sait qu'il s'agit du Monteverdi Choir, toujours aussi à l'aise quel que soit le répertoire qu'il aborde. Le ton global de l'interprétation, véhément et, en même temps, hiératique, respecte bien l'esprit du compositeur mais pourquoi n'est-on, malgré cela, pas vraiment conquis? On pourrait affirmer que la sécheresse est inhérente à cette page toujours intimidante, plus de 85 ans après sa création en 1927. Pourtant, un Ancerl, un Ansermet (par deux fois), un Fricsay, un Chailly, Stravinsky lui-même à deux reprises au moins nous ont prouvé qu'il n'en était rien et que l'expression des sentiments violents qui la parcourent vibre au contraire d'une humanité à fleur de peau. La faute en revient peut-être à Gardiner dont la direction, propre, brillante, impeccable mais d'une neutralité aseptisée, mécanique et sans état d'âme, ne peut en aucun cas convenir ici. Il manque à cette version le souffle d'une baguette survoltée et inspirée pour franchir le stade d'une interprétation seulement correcte. Dans Apollon musagète, par contre, c'est l'inverse qui se produit. L'ensemble manque de rigueur mais aussi de légèreté; tout cela s'égrène placidement, ne (re)bondit jamais, ne possède rien de cette juvénile fraîcheur, légère et bucolique, qui inonde les lectures de Stravinsky (qui déjà utilisait la révision de 1947) à au moins quatre reprises, celle, inoubliable, de Neville Marriner, sans omettre Mravinsky (par deux fois), Dorati, l'épatant Markevitch, Ansermet encore, Karajan même, hors sujet peut-être mais remarquable de tenue, voire Simon Rattle dans ses deux interprétations, à Birmingham et à Berlin. Rien ici ne nous permet de placer cette nouvelle venue au niveau de ses aînées et surtout pas ce ton alangui et compassé qui, décidément, ne nous convainc pas.
Bernard Postiau

Son 8 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 6

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