Un style interprétatif bouleversant

par
Vecchi

Orazio VECCHI
(1550 - 1605)
Requiem
Paolo BRAVUSI
(1586 - 1630)
Libera me Domine
George de la HELE
(1547 - 1586)
Missa Praeter rerum seriem: extraits
Pedro RUIMONTE
(1565 - 1627)
Missa Ave Virgo Sanctissima: extrait
Duarte LOBO
(c. 1565 - 1646)
Missa Dum aurora: extrait
Graindelavoix, dir.: Björn SCHMELZER
2017-DDD-67'-Textes de présentation en anglais, allemand et français-Glossa GCD P32113

La notice le souligne avec justesse: à l'écoute de ce Requiem, encore tout imprégné du style polyphonique de la première Renaissance, on a – pour reprendre les mots de Björn Schmelzer – la « sensation viscérale d'une rupture étrange ou d'un décalage ». Il est en effet difficile d'imaginer que c'est ce monument d'une grande austérité qui fut probablement retenu pour être entendu aux funérailles en grandes pompes de Pierre-Paul Rubens, si intimement lié à l'idée que nous nous faisons des fastes du Baroque dans les Flandres. Selon le maître d'oeuvre de ce disque, il faudrait distinguer deux Baroques à Anvers: celui, ostentatoire, de la contre-réforme, illustré par le peintre, et l'autre, moins connu, fait « d'austérité, de vide, d'obscurité et de noir », ce qui expliquerait l'apparente dichotomie entre l'image que nous nous faisons de l'artiste et la sombre rigueur de la musique d'Orazio Vecchi. Quoi qu'il en soit, ces accents si raides mais d'un impact émotionnel rare, avec ses choeurs haut et bas (pour représenter le Ciel et l'Enfer), étonnent de la part d'un compositeur que l'on a connu infiniment plus aimable, drôle et même facétieux dans ses comédies madrigalesques pleines de verve et d'humour telles que L'Amfiparnasso, Les veillées de Sienne ou Il convito musicale. Surtout, l'interprétation étonne: aux lignes mélodiques entremêlées viennent se superposer mélismes, ornementations inhabituelles, portamentos, glissandos inattendus, parfois à l'intérieur même de ces ornements, lignes comme subitement perturbées par une improbable vague, « dérapages » de voix qui laissent pantois. Le résultat donne l'impression presque choquante d'un long sanglot d'une infinie tristesse qui confine au désespoir le plus profond. Ne serait-ce que pour cette manière, probablement unique, d'aborder ce répertoire, ce disque mérite d'être entendu. Mais attention: l'écoute en est exigeante car très loin de nos habitudes auditives. La suite du programme reste très cohérente avec des extraits de messes de Paolo Bravusi, George de la Hèle, Pedro Ruimonte et Duarte Lobo, toutes publiées à Anvers par Pierre Phalèse ou Plantin-Moretus entre 1578 et 1639; des pages au style et au climat fort proche – et tout aussi étreignant – que celui de Vecchi. Nous avouerons n'avoir jamais entendu une interprétation de ce type, propre à susciter la controverse; elle pourra bouleverser ou irriter. Pour notre part, elle nous hypnotise et laisse une marque durable, indélébile. Extraordinaire!
Bernard Postiau

Son 10 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 10

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.