Un triomphe pour Martha Argerich & Charles Dutoit !

par
Dutoit Argerich

Dans le cadre de sa série ‘Les Grands Interprètes’, l’Agence Caecilia organise deux ou trois concerts de gala en invitant un orchestre, un chef et un soliste prestigieux. Ce fut le cas le vendredi 13 octobre avec la venue au Victoria Hall du Royal Philharmonic Orchestra sous la conduite de son directeur artistique et chef principal, Charles Dutoit, avec pour soliste Martha Argerich. Depuis plusieurs années, cette ‘association’ paraît régulièrement au Septembre Musical de Montreux ; mais elle constitue un événement beaucoup plus rare à Genève.Le programme commence par la Première des Rhapsodies roumaines op.11 de George Enesco, datant de 1901. Avec un phrasé d’une extrême liberté, la clarinette et la flûte dialoguent pour exposer un thème de saveur populaire que chanteront ensuite les cordes ; puis un rubato subtil négocie tout motif dansant. Et la baguette de Charles Dutoit se vautre dans de grasses sonorités dont le caractère enivrant est souligné par de surprenantes broderies de cuivres.
Intervient ensuite la soliste, Martha Argerich, qui, plutôt que de présenter le Deuxième Concerto de Beethoven inscrit au programme, préfère ce soir-là revenir à l’un de ses chevaux de bataille, le Premier en ut majeur op.15, qu’elle a abondamment joué. Bien lui en prend car, depuis longtemps, ne nous a-t-elle pas autant ému jusqu’aux larmes ! A partir de l’Introduction conçue par le chef comme un tutti de musique de chambre, le piano produit un son clair dans les arpèges et les lignes descendantes radieuses comme le sourire qui illumine le visage de l’artiste. L’Adagio est imprégné ensuite d’une délicate nostalgie qui acquiert des accents bouleversants dans le dialogue avec la clarinette. Et le Rondo conclusif brille par le jeu perlé sur un grave vrombissant. Le spectateur reste suspendu par les traits en rafales qui dessinent la cadence avant de hurler son bonheur. La pianiste décide de le parachever en priant Duncan Riddell, le premier violon, de susurrer avec elle dans le ‘Schmalz’ le plus pur le Schön Rosmarin de Fritz Kreisler.
En seconde partie est proposée la plus célèbre des symphonies de Camille Saint-Saëns, la Troisième en ut mineur avec orgue qui fait intervenir Diego Innocenzi, le titulaire au Victoria Hall et aux temples de Vandoeuvres et de Saint-Gervais à Genève. Charles Dutoit lui confère d’abord une dimension mystérieuse avant de laisser serpenter les cordes que ponctuent les cuivres ; en dépit des tensions que suscite le pizzicato s’impose une force intérieure qui laissera filtrer de douloureuses inflexions dans le cantabile méditatif. A coup de lignes acérées se dégage la vigueur du Scherzo dont les gammes ascendantes du piano et le triangle éclairciront la texture. Le tutti de l’orgue insuffle au Finale une grandeur dont le ’quatre mains’ pianistique exhale les émanations sulpiciennes. Et le geste ‘alla ruota’ (à la roue) du chef profite de la qualité des cuivres pour ménager les progressions jusqu’à la péroraison en apothéose. En bis, une Farandole de L’Arlésienne à vous couper le souffle !   Un triomphe à vous laisser pantois !
Paul-André Demierre
Genève, Victoria Hall, le 13 octobre 2017

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