Avec son second opéra, Benoît Mernier ne craint pas les défis !

par

Katelijne Verbeke (Cupidon / Mesrou), © Bernd Uhlig

La dispute de Benoît Mernier d’après Marivaux ou l’inconstance de l’amour
On l’attendait, on l’espérait après cette première réussite qu’était l’éveil du printemps – Frühlings erwachten – créé à La Monnaie, il y a six ans, presque jour pour jour, le 9 mars 2007.

Le premier opéra de Benoît Mernier repose sur le drame adolescent éponyme de Wedekind (1864-1918), ce drame d’adolescents qui voient leur vie évoluer et s’interrogent à la puberté sur leur sexualité et sur leur place dans le monde des adultes en questionnant leurs limites vis-à-vis de l’autorité. Jacques de Decker, le secrétaire perpétuel de l’Académie de Langue et de Littérature Française en tira le livret définitif. Lorsque l’on sait que la pièce de ce même Wedekind, Die Büches der Pandora, est la source du livret de la Lulu d’Alban Berg, on n’était guère étonné l’Éveil du printemps mis en musique par Benoît Mernier nous ensorcelle par son propre langage musical enveloppé de réminiscences du langage bergien.
Voilà le cocktail dont dispose le compositeur pour faire du BenoÎt Mernier ; et il y réussit pleinement ! Le défi était pourtant de taille. Comme le commente Patrick Davin, le directeur musical, dans la notice du programme : Benoît Mernier est… avant tout quelqu’un de doux, de sensible, avec un grand coeur. … Cela lui permet … de donner à sa musique une impression de lyrisme, de beauté, de générosité, qu’il propose une harmonie âpre ou une harmonie plus consonante. Dès le début, on est surpris ! On n’est plus dans le flux musical continu de l’opéra wagnérien ; on n’est pas dans l’opéra mozartien à numéro ; on est dans un marivaudage -osons le dire- entre texte parlé, rythmé, semi-parlé, semi-chanté ou chanté. La forme s’adapte aux jeux de balle incessants du théâtre de Marivaux. Mernier opte pour un mélange du théâtre, de la musique de scène et de l’opéra traditionnel en dosant adéquatement ces différentes visions.
Dès que l’on a accepté cette balance (et les compromis qu’elle a nécessité entre le librettiste, les deux metteurs en scène et le compositeur), on n’a plus que des éloges à formuler. Le niveau vocal est superbe avec des tessitures et des voix qui épousent parfaitement la psychologie des différents rôles. Le souci de clarté que Benoît Mernier aime rappeler se concrétise par le choix bluffant d’un orchestre de 36 musiciens (4 violons I, 4 violons II, 4 altos, 4 violoncelles, 2 contrebasses, 2 flûtes, 1 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 2 cors, 1 trompette, 1 trombone, 1 tuba, 4 timbales et percussions, 1 harpe, 1 piano- glockenspiel-célesta). Par les subtilités de la remarquable orchestration, cet ensemble réduit résonne comme un orchestre symphonique complet tout en préservant la compréhension et l’articulation des voix. Nous jouissons là d’une production belge, de jeunes chanteurs, des metteurs en scène de réputation internationale et sans conteste d’un de nos plus grands et passionnants compositeurs aujourd’hui. On attend avec impatience l’enregistrement de cette réussite programmé chez Cyprès.

Jean-Marie André
Bruxelles, La Monnaie, le 5 mars 2013

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