Une ‘Alcina’ à la dérive, un chef à la rescousse !

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© Magali Dougados GTG

Pour des motifs de travaux importants, le Grand-Théâtre de Genève vient de fermer ses portes pour une durée de plus de deux ans. Et le Conseil de fondation a acheté à la Comédie-Française le théâtre éphémère en bois qui avait été édifié dans la cour du Palais-Royal. Cette salle comportant une surface de scène de 475 m2, une fosse d’orchestre pouvant contenir 70 musiciens et une jauge de 1118 places vient d’être reconstruite à l’angle de la Place des Nations, d’où son nom.
Les feux de la rampe se sont allumés pour la première fois le 15 février avec une nouvelle production de l’ Alcina de Haendel confiée au régisseur David Bösch. Le décor de Falko Herold n’est qu’un gigantesque hangar à la toiture éventrée laissé à l’abandon par un taxidermiste pour en faire un bric-à-brac où s’accumulent cadres de tableaux, vaisseliers, bouteilles vides et fleurs fanées. Serait-ce donc là l’île enchantée où Alcina attirait ses soupirants pour les métamorphoser en animaux ? L’on y croise six personnages arborant des tenues d’aujourd’hui empruntées à un prêt-à-porter par la costumière Bettina Walter. Pendant près de trois heures, un ennui mortel gagne le spectateur ; car rien ne se passe, à moins que pousser un landau bleu ciel ou un chariot à bagages constitue une mise en scène. Relevons aussi que, outre les abondantes coupures pratiquées dans la partition, passent à la trappe le petit rôle d’Oberto, les interventions chorales et les intermèdes chorégraphiques.
Heureusement, dans la fosse, il y a un chef remarquable, Leonardo Garcia Alarcon, qui confie le continuo à son ensemble, la Cappella Mediterranea, tout en le faisant dialoguer avec l’Orchestre de la Suisse Romande dont il obtient une finesse de touche alliée à une louable précision. Il est le point fort de ce spectacle, suivi à quelques coudées de l’Alcina de Nicole Cabell, déjouant tant les embûches du chant orné que la duplicité de son personnage machiavélique. Monica Bacelli lui donne la réplique avec un Ruggiero qui trouve peu à peu ses marques pour paraître intrépide, ce que l’on dira aussi de la Bradamante de Kristina Hammarström. Egratignant quelque peu les aigus de Morgana, Sioban Stagg use de coquetterie pour subjuguer l’Oronte au timbre clair d’Amicio Zorzi Giustiniani et amadouer le noir Melisso de Michael Adams. Donc si vous aimez Haendel, venez découvrir un chef mais surtout fermez les yeux !
Paul-André Demierre
Genève, Opéra des Nations, le 15 février 2016

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