Une correspondance passionnée

par

Lettres de Charles Gounod à Pauline Viardot
par Mélanie von Goldbeck
Si l'oeuvre de Gounod traverse bien les siècles, et qu'aux côtés de Faust et de Roméo et Juliette, on monte et enregistre des raretés tels Polyeucte ou Cinq-Mars, il ne faut pas oublier que sa carrière débuta humblement par Sapho. Ecrit pour sa dédicataire, Pauline Viardot, l'opéra fut créé par elle en 1851, avec un succès moyen, mais propulsa définitivement le compositeur sur la scène parisienne.  Gounod avait rencontré Viardot en 1840 à Rome : ce fut le début d'une relation qui dura toute la vie du musicien.  Soeur cadette de la Malibran, Pauline Viardot eut une carrière exemplaire qui l'amena, durant sa longue vie (1821-1910), à interpréter la quasi totalité du répertoire de Falcon et à créer deux rôles essentiels : Fidès du Prophète de Meyerbeer et Orphée, dans la version Berlioz du chef-d'oeuvre de Gluck. Amie de Tourguéniev et de George Sand, elle était intime avec les plus grands artistes de son temps, de Flaubert à Victor Hugo en passant par Delacroix, Berlioz, Liszt ou Saint-Saëns. Elle a toujours soutenu les jeunes musiciens, créant encore en 1873 la Marie Magdeleine de Massenet. C'est ainsi qu'il faut voir son intervention dans l'écriture de la Sapho de Gounod. Tout au long de ces quelques dizaines de lettres publiées, on suit l'interaction constante entre elle et le jeune musicien, même si, hors exception, seules les lettres de ce dernier font l'objet du recueil. Les remarques concernent aussi bien le livret que la partition en cours, et il est intéressant de suivre les doutes ou les certitudes du compositeur sur son premier essai lyrique. En dehors des commentaires strictement musicaux, il découle de la lecture de cette correspondance la sensation agréable de vivre une tranche de vie (aisée) du XIXème siècle, avec son lot de petites choses quotidiennes. Ainsi, lorsque Gounod occupe la propriété des Viardot à Courtavenel (Seine-et-Marne), apprend-t-on beaucoup sur les transports de l'époque, les repas, la poste, les domestiques et leurs tâches ménagères, mais aussi sur son travail en plein air ou son intérêt pour les chants d'oiseux. Le style de Gounod n'est pas recherché, mais parfois un rien ampoulé. A lire les nombreux "Je vous aime", on peut s'interroger aussi sur la nature de la relation entre Gounod et la chanteuse. En 1852, catastrophe : le musicien se marie et, plutôt maladroit, renvoie le cadeau offert par Pauline Viardot à son épouse. La lionne était-elle blessée ? La brouille durera dix ans. Les deux amis finirent par se réconcilier, et leur correspondance reprit, pour ne se terminer qu'à la mort du compositeur en 1893. Les lettres seront cependant plus brèves et factuelles : le temps des effusions est terminé. Comme toutes les parutions du Palazzetto Bru Zane - Centre de Musique romantique française / Actes Sud, l'ouvrage est très soigné : exemples musicaux, illustrations choisies, abondant corpus de notes de bas de page, bibliographie et index.
Bruno Peeters
Lettres de Charles Gounod à Pauline Viardot, présentées et commentées par Mélanie von Goldbeck, avec la collaboration d'Etienne Jardin, Actes Sud / Palazzetto Bru Zane, 2015, 443 p., 45 euros

Les commentaires sont clos.