Une parfaite introduction au monde fascinant de l’opéra

par

Il Padre Guardiano (Luciano Montanarosa) et Donna Leonora di Varga (Daniela Dessi)

A Liège
La Forza del Destino
Ah, quel plaisir ! une production claire et simple ! Comme mes lecteurs le savent, je n’ai rien contre les mises en scènes contemporaines, ni même contre le “Regietheater”, qui peuvent offrir des approches secouantes sans doute, mais souvent passionnantes pour autant qu’elles respectent l’esprit de l’oeuvre, ce qui arrive bien plus souvent que ne le pensent leurs détracteurs systématiques.

Cette Forza del destino, produite par l’Opéra national slovène – Ballet Maribor, et mise en scène par Francesco Maestrini, est, elle, d’une lisibilité totale : on a beau dire, mais cela repose un peu. La trame, non incompréhensible comme celle de Il Trovatore, mais tout de même invraisemblable, s’en trouve allégée, et presque évidente. Facile à suivre, surtout, ce qui relève presque du tour de force dans le cas de cet opéra précis, commandé à Verdi, rappelons-le, par le nouveau tsar Alexandre II en 1861. Malgré la complexité de l’intrigue, l’oeuvre acquit rapidement une immense notoriété et reste fréquemment représentée de nos jours. La peinture de passions exacerbées sur fond de décors très différenciés, des rôles admirablement définis, un troisième acte original avec intrusion inopinée d’un certain comique, tout cela fait de Forza un opéra hors du commun qui a toujours rencontré l’affection du public. Sans parler d’une inspiration mélodique au sommet : airs, duos et choeurs fascinants se succèdent sans interruption. C’est bien ce qu’a compris Maestrini : il a tout simplement placé Verdi au premier plan. Au détriment peut-être d’une véritable conception, il a joué la carte de l’illustration, tableau par tableau. Celui de la bataille, avec forces pétarades et incendies, ou celui de la crypte pour la distribution de la soupe, forçaient l’admiration par l’utilisation de toiles créant de saisissants effets de profondeur. Jouant sur les décors et les lumières, il a suscité des images dramatiques fortes et frappantes (intronisation de Leonora, scène du camp, grotte de la dernière scène). Et surtout il a participé à la recréation de cette illusion scénique qui forme la base éternelle de toute production théâtrale. L’alternance des climats dans les scènes militaires du camp, les duos sanglants des deux héros masculins, ou l’austérité grandiose du dernier acte ont constitué de spectaculaires réussites à cet égard. Cette relative absence de “mise en scène”, comme on l’entend aujourd’hui, a un peu déforcé deux scènes, celle de la taverne à l’acte II, bien terne, et le “Rataplan” avec un choeur en rang d’oignon plutôt grotesque. Elle supposait aussi une ferme direction d’acteurs : par bonheur, les chanteurs étaient rompus à l’exercice, à commencer par Daniella Dessi qui, si la voix n’est plus celle d’antan, a prouvé son intense familiarité du rôle de la tragique Leonora. En Alvaro et en Carlo, les rivaux haineux, Zvetan Michailov (qui alternait avec Fabio Armiliato) et Giovanni Meoni, ont remporté tous les suffrages : leurs deux duos rivalisant d’impétuosité et de fougue, ont compté parmi les moments forts de la représentation. Tout comme leurs grands airs respectifs (dont le formidable “Urna fatale del mio destino” de Giovanni Meoni). Le Padre Guardiano bénéficiait de la basse somptueuse de Luciano Montanaro et son facétieux mais insubordonné acolyte, Fra Melitone, de toute la gouaille de Domenico Balzani (qui est venu saluer avec sa petite fille de deux ans, mini-figurante adorable). Carla Dirlikov avait la prestance scénique voulue pour le personnage de Preziosilla, Giovanni Iovino campait un Mastro Trabuco bien chantant, et Pierre Gathier assumait sobrement un marquis de Calatrava poudré. Notons aussi l’excellent chirurgien de Benoît Delvaux. Paolo Arrivabeni, coqueluche du public liégeois depuis son arrivée en 2008, connaît son Verdi par coeur et a subjugué un orchestre chauffé à blanc dès l’étincelante ouverture, vraie introduction au drame qui allait suivre. Le ballet du III a brillé de tous ses feux, éclairant à merveille les ambiances successives, de la vente de savon aux lamentations des orphelins, puis soulignait les brillantes évolutions de deux danseurs : une perle. Tout n’était donc peut-être pas parfait dans cette Forza, mais sa lisibilité et sa franchise témoignaient d’un talent assez rare actuellement, celui de la simplicité. Voilà le genre de production qu’il faudrait conseiller à qui souhaite découvrir le monde de l’opéra : bravo à l’ORW pour la réussite de cette gageure.
Bruno Peeters
Opéra Royal de Wallonie, le 21 avril 2013

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