Une partition géniale plombée par la mise en scène : "L’ange de feu" à Lyon

par
Ange de feu

L’Opéra de Lyon ouvre sa saison en présentant L’Ange de Feu de Serge Prokofiev. Œuvre complexe s’il en est une, élaborée entre 1919 et 1924, orchestrée en 1926, livrée trop tardivement à la Städtische Oper de Berlin pour une création par Bruno Walter lors de la saison 1927-28 puis reléguée aux oubliettes pendant un quart de siècle pour être finalement proposée en concert à Paris en novembre 1954, en scène à la Fenice le 15 septembre 1955.

Le livret du compositeur d’après une nouvelle de Valery Brioussov évoque le destin tragique de Renata obsédée par une vision qui hanta toute son enfance, celle de Madiel, un ange de feu qui finit par s’incarner en la personne du Comte Heinrich avec lequel elle vécut une passion torride. Son récit bouleverse le chevalier Ruprecht qui s’emploie à lui prêter secours, même s’il est confronté aux forces occultes ébranlées par le libraire Jakob Glock, le docteur Agrippa von Nettesheim et par les apparitions de Faust et Méphisto. Dans un couvent où elle s’est retirée, les moniales entrent en transes, provoquant l’intervention de l’Inquisiteur qui condamne Renata à être brûlée vive. A Lyon, cette trame enchevêtrée devient encore plus confuse dans la mise en scène de Benedict Andrews (empruntée à la Komische Oper de Berlin) et les décors et costumes contemporains conçus par Johannes Schütz et Victoria Behr. Se référant à la psychanalyse freudienne, le régisseur postule que le problème existentiel de la malheureuse remonte à son enfance, d’où l’intervention continuelle de fillettes puis de femmes qui s’accrochent à elle, alors que la silhouette de Ruprecht qui lui fait front se démultiplie. En un mouvement perpétuel qui a le don d’agacer, le plateau tournant livre une scène d’horreur où Méphisto croque à belles dents le bras du garçon d’auberge, tandis que, étrangement, la scène de possession démoniaque paraît bien sage avec deux ou trois nonnes finissant en nuisette jaune pour s’agripper à leurs consoeurs.
Si le spectacle lasse par ses outrances, le génie de la partition est par contre évidence sous la baguette de Kazushi Ono qui pousse les forces chorale et orchestrale de l’Opéra de Lyon jusqu’à leurs derniers retranchements ; et le fait de présenter l’ouvrage d’un seul tenant (sans entracte) suscite la tension émotionnelle jusqu’à la rédemption par la flamme. Avec une endurance à toute épreuve, la soprano lituanienne Ausrine Stundyte s’empare du rôle massacrant de Renata en dominant avec une apparente aisance une tessiture et une écriture vocale truffées d’embûches. En Ruprecht, incarnation tout aussi exigeante, Laurent Naouri trouve l’une de ses compositions les plus convaincantes, tant musicalement que scéniquement. Dmitry Golovnin, ténor aux inflexions claires, impose aisément son Méphisto comme son Agrippa von Nettesheim face au Faust plus neutre de la basse Taras Shtonda. Et dans l’abondante distribution, il faut relever la qualité des seconds plans, Vasily Efimov (Jakob Glock), Margarita Nekrasova (l’Aubergiste), Mairam Sokolova (la Voyante et la Supérieure), Almas Svilpa (L’Inquisiteur)
Paul-André Demierre
Lyon, Opéra, le 15 octobre 2016

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