Une reconstitution historique d'une émotion rare

par

0126_JOKERDRESDEN PASSION
Cappella Sagittariana Dresden, dir. : Norbert SCHUSTER
2016-DDD- 2 CD- CD1 58'52-CD2 38'12- présentation et textes en allemand et anglais-chanté en allemand-RONDEAU n°ROP612122

Ce qui frappe immédiatement à l'écoute c'est l'extrême lisibilité des textes – récité et chantés. A cet égard les responsables de la prise de son méritent de grand éloges. Et de même les interprètes de ce programme. En fait, on a recréé ici le cérémonial de la « Passion » telle que les habitants de Dresden pouvaient le suivre au XVIIe siècle. Fascinante beauté. Et dont on tire également de nombreuses leçons. D'abord que les Allemands sont, d'évidence, de patients auditeurs. Peu d'autres tempéraments supporteraient ces longues déclamations, même en Semaine Sainte. Ensuite qu'ils ravissent par leur beauté : textes chantés, psalmodiés, instrumentalisés révèlent tous une sincère ferveur religieuse autant qu'esthétique. Enfin qu'ils font tous corps avec la cérémonie proposée en une simple et indicible douceur. Et c'est là un phénomène de masse (bien compris par Luther) qui donne autant de puissance à la représentation sacrée. Nulle facilité ici mais une constante fluidité qui emporte dans son courant tour à tour contemplatif, confiant, vif ou attristé. Beauté juvénile à laquelle la voix claire, précise, sans emphase du récitant confère sa totale vérité intérieure.
Dans une ville qui a permis à Schütz de s’épanouir jusqu'à sa mort en 1672, qui a eu la chance d'avoir une cour brillante que savait gouverner un prince lettré, musicien, déjà « éclairé » dans l'âme et sa façon de gouverner, Dresden s'impose comme l'un des plus brillants centres de culture dans l’Allemagne du XVIIIe siècle. Telle est l'image qui ressort de l'écoute de ce disque. Facteur d'équilibre important : La Passion selon Saint Marc de Peranda (1625-1675) s'articule avec des œuvres destinées aux mêmes circonstances religieuses de son prédécesseur Schütz (1585-1672) mais aussi d'Anton Colander (1590-1621) et Johan Hermann Schein (1586-1630) dans un grand souffle homogène. Nous avons eu déjà eu la joie de signaler l'intérêt du compositeur d'origine italienne, Peranda (https://www.crescendo-magazine.be/2016/03/universelle-beaute/) dont Bach posséda les œuvres. Intérêt encore redoublé par l'aventureuse trajectoire de ces pages parvenues jusqu'à nous et mises en lumière par de valeureux musicologues. Ce sont des artistes en tous point remarquables qui, ici, leur redonnent vie, ne jouant jamais des vedettes mais au contraire soudés merveilleusement ensemble : des voix féminines par exemple qui s'envolent avec légèreté, grâce et brillance. Des musiciens jamais prisonniers de leur texte et un soutien orchestral toujours acéré, clair, vibrant sans le moindre excès. Intelligence enfin de la direction de Norbert Schuster qui souligne sobrement les parentés de formulation, met en valeur discrètement certains mots importants qui se répondent de pupitres à pupitres dans un style imagé, limpide, constamment décanté.
Reconstitution historique certes mais d'une émotion rare qui nous habite longtemps. Hommage également à la vitalité transcendante de cette musique, à la Passion du Christ tout comme à la Dresden du Prince Johan Georg II.
Bénédicte Palaux Simonnet

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