Une voix lyrique dans un programme bien sombre   

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Chaque saison, le Grand-Théâtre de Genève organise tant récitals de chant avec piano que concerts exceptionnels avec orchestre. C’est pourquoi, le 12 janvier à l’Opéra des Nations, est apparue, pour la première fois dans la cité lémanique, la soprano allemande Dorothea Röschmann qui, en plus de vingt ans de carrière, s’est fait un nom à Berlin, à Salzbourg, à Vienne dans les grands rôles mozartiens qui l’ont ensuite imposée à Milan, Paris, Londres et New York.Avec la complicité de ce magnifique pianiste-accompagnateur qu’est Malcolm Martineau, elle a proposé un programme intelligent comportant quatre cycles de mélodies. Elle commence par les ‘Mignon Lieder’ de Goethe mis en musique par Franz Schubert. Les premiers vers de « Heiss mich nicht reden » révèlent une voix qui cherche d’abord son assise afin de libérer un aigu qui semble rebelle. L’indéniable musicalité de l’artiste émane d’un phrasé soigneusement travaillé qui sait s’attarder sur une modulation comme celle qui sous-tend les mots « tiefen Schmerz » dans « So lasst mich scheinen ». Mais la nuance ‘forte’ produit une impression désagréable dans un « Nur wer die Sehnsucht kennt » qui, toutefois, est négocié dans un legato soutenu ; par contraste, la volonté de mettre en valeur le texte confère une réelle consistance aux interrogations de « Kennst du das Land ? ». Et c’est par l’intensité de la ligne de chant que ‘Nachtstück’, ajouté en épilogue, confine au crescendo expressif.
A ce Schubert plutôt sombre répond le Mahler tout aussi tragique des ‘Rückert Lieder’. Par sa tessiture trop grave, le « Blicke mir nicht in die Lieder ! » taxe lourdement les moyens de son interprète qui respire ensuite dans le phrasé ailé qu’elle prête à « Ich atmet’ einen linden Duft », où le rubato lui permet de faire attendre le mot. Par des sonorités blafardes elle décrit « Um Mitternacht », en atteignant le paroxysme dramatique dans la phrase « Herr über Tod und Leben ». En demi-teintes mélancoliques sont formulés les souhaits de « Liebst du um Schönheit », tandis qu’une émotion palpable innerve le sublime « Ich bin der Welt abhanden gekommen ».
La seconde partie de programme m’a laissé sur la réserve, alors que le Schumann des  ‘Gedichte der Königin Maria Stuart’ se juxtaposait au Wagner des ‘Wesendonck Lieder’. Dès « Abschied von Frankreich », le medium arbore un coloris guttural qui deviendra pénible lors des éclats dramatiques émaillant la supplique d’«An die Königin Elisabeth ». Mais la voix retrouve un certain velours dans le pianissimo résigné d’ »Abschied von der Welt » ou « Gebet ». Dans la réduction pianistique de l’accompagnement, les  ‘Wesendonck Lieder’ laissent percevoir la trame du tissu vocal qui devient douloureux comme un cilice lorsque «Stehe still ! » laisse surgir des aigus attaqués de plein fouet ou que « Schmerzen » est corrodé par des sons anguleux. Par contre, « Träume » fascine par le vaporeux ouaté qui dépeint ce simple mot et qui nous ouvre de tout autres horizons. Et cette sensation d’harmonie retrouvée se propage ensuite dans le premier bis, une magnifique mélodie de Liszt, « Es muss ein Wunderbares sein », attachant par l’élasticité des lignes et la fluidité des teintes.
Paul-André Demierre
Genève, Opéra des Nations, le 12 janvier 2018

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