Vertigineuse Première mondiale

par

0126_JOKERLéonardo VINCI (1696-1730)
CATONE IN UTICA
Tragedie per Musica (Rome, 1728) - Livret de Pietro MATASTASIO
Juan SANCHO (Catone), Franco FAGIOLI (Cesare), Valer SABATUS (Marzia), Max Emanuel CENCIC (Arbace), Vince YI (Emilia), Martin MITTERUTZNER (Fulvio), IL POMO D'ORO, dir.: Ricardo MINASI
2015-DDD-3 CD de 79', 76'30, 78'40- Présentation- Livret en anglais, allemand, français- Textes en italien, anglais, allemand, français- chanté en français- DECCA 478 8194

Les œuvres de Leonardo Vinci ( pas de « da » devant ce nom!) sont assez méconnues en dépit de ce sidérant « Artaserse » qui fit l'objet d'un enregistrement DVD dont nous avons rendu compte dans une chronique précédente (juin 2014). Ce fut pourtant un fort brillant musicien, né en Calabre vers 1696 et mort à Naples le 27 mai 1730. En dépit de cette courte vie fauchée à 34 ans, Vinci a laissé un nombre important d’œuvres qui méritent l'admiration : ainsi de « Catone » de 1728. C'est que, contraint par sa naissance et son existence (Fétis indique que « suivant les mœurs du temps, la dévotion de Vinci ne l'empêchait pas d'aimer beaucoup les femmes »); par, également, les nouvelles tendances qui s'affirmaient dans la vie musicale en ce premier tiers du XVIIIe siècle, il fut conduit à rechercher -et trouver- des formules qui le satisfasse ainsi que son public. Habile dans la conduite des voix, il se tourne donc résolument vers l'« opéra bouffe napolitain » et devient le successeur de Scarlatti, perfectionnant par ailleurs « l'opera seria », « l'aria da capo » notamment. Les séjours à Naples, Rome puis dans diverses « Chapelles » qu'il dirige ( celle du Monastère Sainte Catherine à Formello notamment) lui apportent un supplément d'originalité qui se retrouve précisément avec « Catone » créé à Rome le 19 janvier 1728. Avec assez de succès pour qu'en parle éloquemment l'exigent Charles Burney dans son célèbre ouvrage. En raison du décret pontifical de Sixtus V en 1588 interdisant aux femmes de se produire sur la scène romaine, le recours aux castrats pour une partie de la distribution suscite une écriture virtuose qui produit une extraordinaire émulation à l'égard des rôles confiés aux voix masculines. Ainsi de l'éblouissant rôle de Caton ici tenu avec flamme et noblesse par le ténor Juan Sancho. Cet épisode de la guerre civile romaine l'oppose à César curieusement sentimental (Franco Fagioli virtuose intrépide) accompagné du légat du Sénat Romain, Fulvio (incarné par le ténor au timbre fruité et au phrasé élégant, Martin Mitterutzner). Caton est secondé par son ami le tendre prince Numide Arbace (Max Emanuel Cencic fin musicien mais dont le léger défaut d'élocution -les « s »- est fort exposé dans les longs récitatifs). Valer Sabatus exprime la passion contrariée de la fille de Caton, Marzia , pour l'ennemi de son père tandis que la hautaine Emilia veuve de Pompée (Vince Yi au timbre extraordinairement féminin) trouve des accents impitoyables pour condamner César. Cette « Conférence de la Paix au sommet » est fertile en rebondissements et propice à l'expression de la colère (affolante aria di tempesta « soffre talor del vento » de Cesare acte II sc. 5 par exemple) du dépit, de la haine, de l'agitation (on y trouve une de ces premières aria agitata qui seront des figures emblématiques par la suite), et évidemment l'élégie amoureuse. Reprises ornementées, appogiatures, mordants, trilles messa di voce mélangée de staccatos caractéristiques de la manière de Vinci : tous les codes belcantistes sont à leur zénith et les trésors musicaux surgissent à profusion. Au point, parfois, de pouvoir déconcerter l'auditeur d'aujourd'hui qui ne dispose pas comme les spectateurs vénitiens ou napolitains de la faculté de jouer aux cartes, boire des rafraîchissements dans les loges lorsque les récitatifs leur semblaient trop longs. Pourtant, il y a de quoi tailler quinze opéras dans cette musique. Il y a là tant de splendeurs que cette richesse doit être appréhendée comme un fabuleux témoignage de l'inventivité musicale du XVIIIe siècle, de l'accomplissement d'un art et d'une conception de la destinée humaine, voire d'une conception philosophique. En effet l'excellent livret de Métastase ne se contente pas de ménager des trouvailles (la première entrevue César/Caton interrompue par l'irruption d'Emilia, veuve de Pompée ; au IIIe acte, la scène du souterraine ; à la fin le suicide de Caton, sans compter un portrait de femme armes à la main), il suggère la lutte entre l'ancienne République de Rome (Caton et les vieux républicains romains) face à la nouvelle Rome impériale représentée par César, tandis que Marzia ,cherchant désespérément un compromis, donnerait une image de la Papauté . N'envisage t'il pas au delà de l'allégorie qui touchait ses auditeurs, l'évolution vers un despotisme éclairé Cette importante « Première » est servie par des interprètes qui s'inscrivent tous au pinacle. Orchestre clair, en étroite symbiose avec les chanteurs sous la conduite vive et habilement contrôlée de Ricardo Minasi. Un enregistrement de référence pour qui veut comprendre ce qu'est le véritable belcanto.
Bénédicte Palaux Simonnet

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10

Les commentaires sont clos.