Voilà de l'opéra-comique !

par

© Pierre Grosbois

LAKME
(Leo Delibes)

Que dit-on pour définir l'art français ? Il est fait de finesse, de clarté et d'élégance. Voilà qui décrit à la perfection cette Lakmé de Leo Delibes, créée en 1883 à l'Opéra-Comique, et dont le succès ne s'est jamais démenti. L'oeuvre représente la quintessence de la musique française, comme, avant elle, La Dame blanche de Boieldieu, Le Domino noir d'Auber, Les Pêcheurs de perles et Carmen de Bizet, ou Mignon d'Ambroise Thomas. Et, un an plus tard, la Manon de Massenet. Comme tous ces chefs-d'oeuvre, Lakmé atteint une certaine perfection par un équilibre miraculeux entre une intrigue simple, directe, émouvante, et une musique réunissant les mêmes qualités. Voguant sur la veine orientalisante de cette époque (le livret est en partie inspiré du Mariage de Loti), la trame fait s'opposer deux cultures qui ne pourront jamais se rejoindre, comme déjà dans L'Africaine de Meyerbeer et, plus tard, dans Madame Butterfly de Puccini. On l'a souvent fait remarquer : le choc des civilisations rend l'échec prévisible, et le décor contemporain le rend plus douloureux encore. Le succès a été immédiat et l'est toujours, en ce début du 21e siècle. Certes, il le doit aussi à une orchestration délicate, à de ravissantes mélodies semées à profusion, mais peut-être, surtout, au rôle central, à l'écriture vocale étincelante, et qui a attiré toutes les sopranos aiguës depuis la créatrice, Marie Van Zandt. Il suffit de citer Mado Robin, Mady Mesplé, Joan Sutherland, Nathalie Dessay et, à présent, Sabine Devieilhe. Cette dernière parvient à coupler une voix de rêve, coloratures impeccables comprises (l'air des clochettes, bien sûr), à un délicat tempérament d'actrice. Lakmé est loin d'être une poupée à cocottes, elle est une petite fille ingénue, promise à un destin sacré qui la dépasse, et qui tombe éperdument amoureuse. Du ravissant duo des fleurs (avec la belle Mallika d'Elodie Méchain) au si pur "Pourquoi dans les grands bois", de la ballade de l'acte III suivie du poignant duo final, Devieilhe réalise un parcours sans faute. Son Gérald (Frédéric Antoun) livre une superbe leçon de chant, comme si souvent. Il représente, lui aussi, le formidable renouveau du chant français et le public ne sera pas près d'oublier "Prendre le dessin d'un bijou" ou, bien entendu, le célèbre "Fantaisie aux divins mensonges". Le Nilakantha de Paul Gay, plus père noble que brahmane outragé, a bien déroulé "Lakmé, ton doux regard se voile", l'un des plus beaux airs de baryton du répertoire et fer de lance de José Van Dam. Parfaits anglais de Jean-Sébastien Bou (Frédéric), Hanna Schaer (Mrs. Bentson), Marian Tassou (Ellen), Roxane Chalard (Rose), ces deux dernières issues de l'Académie de l'Opéra-Comique, et le bien sympathique Hadji d'Antoine Normand. Le choeur Accentus, habitué du lieu, a ébloui bien des tableaux, dont celui du marché qui ouvre le deuxième acte, éblouissant de verve et d'animation. Quant aux Siècles, ensemble d'instruments anciens (dont un sonore ophicléide) dirigé par François-Xavier Roth, s’ils ont bien illustré le joli ballet du marché, leur accompagnement n'a peut-être pas pleinement rendu justice à la finesse de l'instrumentation de la partition, malgré de jolis solos de bois. Reste la mise en scène, simple et directe, comme il le fallait. Si les décors du premier acte se sont révélés fort pauvres (un simple tertre), ceux du deuxième ont étonné : un amoncellement de casseroles (de conserves ?) devait figurer un temple. Heureusement, l'entrelacement de lianes lors de la mort de Lakmé participait plus à l'émotion requise. Somme toute, Lilo Baur a encadré plus qu'interprété la pièce, mais en ces temps d'hypertrophie dramaturgique, la sobriété a du bon. La salle Favart a parfaitement représenté l'un de ses plus importants fleurons, fidèle à la politique de son directeur, Jérôme Deschamps. On ne le remerciera jamais assez d'ainsi, tout au long de ses saisons, défendre et illustrer, pour le plus grand bonheur des mélomanes, un répertoire essentiel de la musique française.
Bruno Peeters
Paris, Opéra-Comique, le 16 janvier 2014.

 

Les commentaires sont clos.