Voltaire sauce américaine

par

© Vlaamse Opera / Annemie Augustijns

Candide de Bernstein
Ecrit en 1759, Candide est un roman échevelé dans lequel Voltaire instille toute sa philosophie au fur et à mesure du déroulement des aventures de son héros ballotté par les événements. Deux siècles plus tard, Bernstein adapte l’oeuvre en une “comic operetta” créée en 1956 à New York et, à l’instar de son grand devancier, offre en un seul ouvrage un magnifique résumé de son art. Candide, a révélé le compositeur, a été pensé comme une sorte de lettre d’amour personnelle à la musique européenne. Malgré son échec initial et après de multiples révisions, la partition est devenue le symbole de ce précieux syncrétisme qui caractérise la musique américaine, et celle de Bernstein en particulier. Syncrétisme qui unit la grande tradition au gré de quelques pastiches (on entendra un choral aux débuts respectifs des deux actes mais aussi un tango, une valse et même une gavotte), le style Broadway bien sûr -n’oublions pas que West Side Story a été écrit en même temps que Candide !- mais aussi une gouaille qui doit beaucoup à Gilbert & Sullivan. Le personnage du mentor Pangloss, par exemple, en est directement issu. Mais Cunégonde rappellera la Reine de la Nuit dans son fameux air Glitter and be Gay. C’est précisément ce caractère de cocktail brillant qui produit cet effet de kaléidoscope auquel la partition doit sa réussite scénique : en cela, la mise en scène de Nigel Lowery est parfaite. Reliés par une voix off radiophonique, chaque tableau est affublé de décors et de costumes distincts, ce qui renforce l’aspect picaresque de l’opéra. On passera ainsi d’une attaque terroriste au désastre de Lisbonne de 1755, de l’intervention d’inquisiteurs à un choeur de coloniaux, d’un Hitler caricatural à un gros canard jaune chinois ou à un dialogue bien tapé de deux prostituées, tout cela dans l’euphorie la plus totale. Les interprètes vocaux relaient cette vision par un sens très sûr de la dérision certes, mais aussi un grand engagement scénique. A commencer par le Candide de Michael Spyres, habitué du rôle, mais aussi de ceux de Cellini, Hoffmann ou Guillaume Tell. Un ténor brillant donc, mais qui sait admirablement plier sa voix puissante aux trois airs de désolation lyrique écrits par Bernstein, si émouvants, et qui forment sans doute les joyaux de sa partition. Leah Partridge vainc facilement la redoutable tessiture de Cunégonde et se taille un beau succès dans son air : elle est joliment concurrencée par l’amusante Paquette de Marija Jokovic. Des nombreux personnages épisodiques, retenons l’impayable Old Lady de Carole Wilson (ah ! son tango !) et saluons l’apparition d’un autre ténor célèbre, Chris Merritt, dans les trois rôles du gouverneur, de Vanderdentur et de Ragotsky. Le chef de choeurs habituel du Vlaamse Opera, Yannis Pouspourikas, prend cette fois la baguette pour une direction enlevée de la partition, légère autant que souriante, et qui en suit tous les différents aspects. Il cultive parfaitement son jardin.
Bruno Peeters
Anvers, Vlaamse Opera, le 23 juin 2013

Voltaire, Bernstein, Lowery, Spyres, Partridge, Merritt, Pouspourikas

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