2021 : l’essentiel et la reconstruction ? 

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Si l’an neuf est traditionnellement un moment d’espoir, le passage à 2021 laisse un sentiment mitigé ! Si tout le monde se satisfait d’avoir laissé 2020 derrière soi et espère une amorce crédible de sortie de la crise Covid au mieux vers la fin de l'été, la situation reste sombre. Les salles de spectacles, à de rares exceptions locales près (Monaco, Madrid), restent tristement fermées et personne ne prend le risque d’avancer une hypothétique date pour une réouverture même partielle ! 

Dans tous les cas, les séquelles risquent d’être importantes pour la culture. Considérée comme non essentielle, sa mise à l'arrêt marque indéniablement une cassure civilisationnelle. Rappelons que l’art et la culture sont l’ADN de l’Occident. On ne se lancera pas ici dans une démonstration didactique et pour ne pas donner dans le corporatisme, on choisira l’exemple du théâtre qui prend source dans l’Antiquité comme composante structurante de la vie sacrée des cités. Rappelons aussi que même pendant les deux Guerres mondiales, la culture ne s’était pas arrêtée à travers le monde ! Nous vivons une situation inédite ! 

Certes, il ne s’agit pas de dire que tel secteur vaut mieux qu’un autre et que tel ou tel mérite ou pas de rester ouvert. Mais éteindre la Culture est hélas un signal, la considérer comme “non essentielle” est une insulte aux artistes, aux publics mais aussi à notre Histoire ! Elle n’est plus un axe de la Civilisation et on lui préfère des temples de la consommation gavés, pour la plupart, d’objets fabriqués à l’autre bout de la planète et importés par cargos ou avions bien polluants ! Comme symbole du monde d’après, en phase avec les enjeux du futur, on peut espérer mieux ! 

L'antienne de la réinvention, cri de ralliement de tous les commentateurs en mal d’idées et mythe fantasmé de la Modernité, aura fait long feu. Le tsunami de concerts en ligne qui nous a submergés n’est qu’un miroir aux alouettes car l’essence de la culture, c’est d’être vivante et, en dépit de la grande qualité de certaines offres tant sur la forme que sur le fond, le concert en ligne n’est en rien une solution à terme car il est la négation même de l’Art. Sans public, il ne peut y avoir de culture ! Comme le dit justement Daniel Barenboim : Nous ne devons pas oublier que la musique est créée dans un espace, c’est-à-dire en direct, sur scène, avec un public (…) Rien ne peut remplacer cette expérience partagée. Le streaming est une bonne chose, c’est important, mais il ne remplace pas les concerts et les représentations d’opéra en direct.

Une fois sortis de cette crise et de retour dans les salles de spectacles, il faudra penser au monde d’après. L’un des premiers axes sera indubitablement une réflexion sur la marginalisation de la culture et la recherche de moyens d’actions pour en refaire un axe structurant et une fondation essentielle de nos sociétés. Ce sera d’autant plus urgent que le secteur risque de prendre de plein fouet une seconde vague encore pire en forme de boomerang : celle de la baisse des budgets suite à l’effondrement des recettes des Etats et des entreprises. Face à une diminution conjuguée des subsides et du mécénat, la double peine pourrait être sévère et ravageuse ! 

Mais sur quelles bases reconstruire ? A vouloir s’imposer absolument comme un secteur économique, la culture y aurait-elle laissé son âme ? Considérée comme une industrie, mise en comparaison avec d’autres, elle n’a pas fait le poids. Le modèle économique sur lequel s’est construit le business actuel de la musique classique est en train de s’écrouler : les grosses agences artistiques se lézardent tels des colosses aux pieds d’argiles, les multinationales de l’enregistrement sont globalement devenues transparentes et insipides, coulées par des productions conceptuelles et sans âmes, les lucratives tournées internationales ne sont plus possibles ! Il en va de même pour l’opéra et ces salles de spectacles marques mondiales et prescripteurs des goûts comme l’Opéra de Paris, le MET de New-York ou la Scala de Milan, victimes d’une fuite en avant au prestige et aux coûts, qui se retrouvent face à une situation financière des plus dégradées. Quittons même la musique et prenons simplement les musées et sites touristiques stars comme Le Louvre ou le Château de Versailles : portés par des flux incessants de visiteurs arrivés par avions des quatre coins de la planète ou des expositions blockbusters destinées à générer un maximum de recettes, ils sont prisonniers d’un modèle devenu en moins d’un an complètement obsolète et il serait suicidaire d’envisager sérieusement de le poursuivre. 

Au final, ces mutations sont certainement salutaires car le classique, comme les arts, devront se renforcer sur leurs territoires, valoriser leur patrimoine (il y a tant de compositrices et de compositeurs à proposer à l’affiche), mettre un accent très fort sur la médiation, renforcer le lien local…Mais surtout initier prestement un plan Marshall ambitieux au bénéfice des jeunes artistes dont l’intégration professionnelle a été bouleversée par la pandémie. Il ne s’agit pas de se réinventer mais de se régénérer dans le monde après !  

Pierre-Jean Tribot

Crédits photographiques  : Pixabay

 

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