L'automne avec Brahms par Olivier Bellamy

par

Olivier BELLAMY : L’Automne avec Brahms. Paris, Buchet-Chastel. ISBN 978-2-283-03240-4. 2019. 303 pages. 16 euros.

Né à Marseille en 1961, Olivier Bellamy est journaliste, animateur radio, présentateur d’événements et récitant. Il anime depuis 2004 l’émission « Passion classique » sur la chaîne Radio Classique, collabore à la revue Classica et au Huffington Post. Il est aussi l’auteur de plusieurs livres sur la musique, consacrés notamment à Martha Argerich, Teresa Berganza ou Felicity Lott, et d’un Dictionnaire amoureux du piano chez Plon. En 2015, il a publié, déjà chez Buchet-Chastel, Un hiver avec Schubert, qui a été salué par la critique pour ses qualités d’écriture et de contenu. « Après Un hiver avec Schubert, j’avais prévu de m’attaquer à Chopin mais le divin Polonais a pour un temps repoussé mes avances. Brahms s’est alors imposé à moi comme un amour de jeunesse qui revient frapper à la porte. Il est sage de nous plier à ce que la vie nous dicte. », confie Olivier Bellamy. On ne peut que lui donner raison d’avoir fait ce choix, car l’ouvrage qu’il consacre à Brahms témoigne de sa passion pour l’homme et pour l’œuvre, dans un contexte de grande sensibilité, distillé par une plume intensément lyrique. Il ne s’agit ni d’une biographie, ni d’un essai, mais plutôt d’une série de variations autour de l’histoire, de la vie, de la création artistique et de l’intimité d’un compositeur de génie. En quarante-cinq courts chapitres accessibles aussi bien au mélomane chevronné qu’au néophyte, Bellamy arrive à brosser un portrait de Brahms qui est non seulement convaincant et attractif, mais à travers lequel l’auteur fait partager ses propres inclinations et préférences, d’un œil complice, avec modestie et humilité, nous rendant le compositeur concret comme s’il s’agissait d’un proche.

« Brahms a été le grand amour de mes jeunes années. Le coup de foudre date de ma découverte du Requiem allemand. En dépit des années passées, je ne peux réentendre cette œuvre sans qu’aussitôt des larmes me montent aux yeux », confie Bellamy, qui avoue aussi avoir été séduit très vite par l’Allegretto de la Symphonie n° 3. Son engouement ne s’arrête pas là, car il réussit le tour de force, alors que son livre n’est pas une étude musicologique, rappelons-le, de parcourir toute la production du natif de Hambourg, en injectant dans chaque séquence son respect, son admiration, son amour en fin de compte, seul mot qui convienne. Au-delà, il nous entraîne à travers les figures qui ont marqué le compositeur et, en tout premier lieu, Clara et Robert Schumann que l’on retrouve au long de maintes pages au cœur desquelles Bellamy réussit à montrer l’ambiguïté de ce prestigieux trio musical, au-delà même de la disparition de l’ami et de la dévotion que Brahms conservera toujours envers la veuve. Les collègues sont aussi présents : les figures tutélaires de Bach, de Mozart ou de Beethoven, ou celles des contemporains, Wagner, Liszt, Bruckner, avec les hauts et les bas rencontrés, mais aussi les affinités avec Dvorak ou Johann Strauss. 

Olivier Bellamy manie avec habileté l’art de préciser en quelques lignes les relations, parfois contradictoires, avec le chef d’orchestre Hans von Bülow (dont l’auteur dit qu’il fut « le Daniel Barenboïm de son temps », affirmation interpellatrice, par ailleurs non étayée), avec le violoniste Joseph Joachim ou Richard Mühlfeld, qui ne sera pas pour rien dans les splendides partitions destinées à la clarinette. Bellamy cite souvent les interprètes brahmsiens qu’il apprécie. Sa discographie en fin de volume atteste de son goût pour des talents du passé, de Klemperer (et son Requiem allemand !) à Furtwängler, auquel il consacre de longues et belles lignes, Clifford Curzon, Edwin Fischer ou autres Arthur Rubinstein. Mais nos contemporains sont présents : Nelson Freire, Nicholas Angelich ou Renaud Capuçon ne sont pas oubliés, parfois même à travers des anecdotes amusantes, comme lorsque Bellamy essaie de convaincre Martha Argerich de se consacrer plus à Brahms, alors que celle-ci tente de lui faire croire que la légendaire barbe du compositeur n’était qu’un postiche. La légende y aurait pris un coup… si le canular n’en avait pas été un.

Ce qui est plaisant, et émouvant, c’est que Bellamy se livre lui-même à travers ces textes qu’il fignole avec goût. On a la sensation que lorsqu’il évoque l’humilité de Brahms, c’est un peu la sienne qu’il met en évidence, car il s’efface devant la haute stature à laquelle il se consacre. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir des formules dont la densité, humaine, psychologique ou lyrique atteint son but. Dans les dernières pages, au cours desquelles l’auteur qualifie avec emphase quelques géants de la musique, il écrit : « (…) Brahms œuvre pour que l’immensité de Bach, l’amour de Mozart, la force de Beethoven et l’imagination de Schumann perdurent. En cela, il s’élève à leur hauteur. Avec une modestie et une sensibilité poignante. C’est le bon pasteur de la musique. » 

En fin de parcours, Bellamy semble justifier le titre de son livre en reproduisant in extenso la traduction du poème En Automne de Klaus Groth, mis en musique par Brahms dans les Cinq Chants pour chœur mixte a capella opus 104. Ce texte débute par une lamentation :

Sévère saison que l’automne.

Et, lorsque tombent les feuilles,

Le cœur lui aussi sombre

Dans une morne douleur. (…)

Il s’achève par une émotion :

(…) L’œil se mouille,

Mais les larmes brillantes

Sont aussi le plus doux

Epanchement du cœur.

Par effet de contraste, peut-être volontaire, l’illustration de couverture de L’Automne avec Brahms reproduit un tableau de Friedrich Caspar David intitulé Matin de Pâques. Comme en automne, une sorte de « brume pâle », à l’instar de celle qu’évoque Klaus Groth au milieu de son poème, vient s’ajouter à un soleil incertain. Au bout de cet ouvrage précieux par l’émotion qui s’en dégage et par le plaisir de la lecture, on se rappelle alors une dernière fois ce qu’écrit Olivier Bellamy au sujet du triangle Clara-Robert-Johannes qui demeure la pierre d’angle de trois existences : « Tout le monde aura eu ce qu’il a désiré, en payant le prix fort. Schumann vivant le temps d’un printemps, Clara régnant sur l’invincible été, Brahms moissonnant et vendangeant l’automne durant. Et tous trois de partager un long voyage d’hiver. » Tout cela, pour la plus grande gloire de la musique… 

Jean Lacroix

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