Simon Rattle, le legs Berlinois pour Warner

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Warner remet en coffret l’ensemble du legs berlinois de Simon Rattle tel que documenté entre 1994 et 2012 par les micros de EMI. Ce coffret comprend les enregistrements réalisés pendant le mandat de direction musicale du chef anglais (2002-2018) mais aussi quelques galettes d’avant sa prise de fonction, révélateurs d’une relation intense naissante : Faust-Symphonie de Franz Liszt, Symphonie n°10 de Gustav Mahler et Gurre-Lieder d’Arnold Schoenberg. Mais ce coffret ne couvre pas la totalité des témoignages de Rattle avec ses Berlinois car au terme du contrat d’exclusivité avec Warner, l’orchestre avait lancé son propre label. 

Si l’élection de Claudio Abbado au poste musical suprême en 1989 avait été une surprise, la désignation de Simon Rattle avait été une évidence. Fort de son immense succès auprès du  City of Birmingham Symphony Orchestra de 1980 à 1998, le chef anglais avait imposé une marque et une nouvelle vision de la fonction de directeur musical : flexibilité artistique totale du baroque sur instruments d'époque au contemporain en passant par le grand répertoire à travers d'une conception historiquement informée, défense et vulgarisation de la création, affirmation des projets pédagogiques, vision communicative... 

A l’inverse d’un Abbado dont le coeur de répertoire était le grand romantisme austro-allemand (Mahler en tête de gondole), les figures germanophones de la modernité (Schoenberg/ Berg) avec un regard sur la modernité radicale et engagée (Nono, Boulez), Simon Rattle s’impose plus boulimique : s’il dirige Mahler, Strauss, Bruckner ou Schoenberg, il ne néglige pas Nielsen, Rachmaninov et même Orff ! 

A la lecture, on se rend compte que Rattle a ménagé le répertoire des Berlinois : Brahms, Mahler, Strauss, Bruckner mais il a contribué à ouvrir leurs horizons avec des enregistrements de poèmes symphoniques de Dvořák, des Symphonies n°1 et n°14 de Chostakovitch, des Cloches de Rachmaninov, d'Éclairs sur l’au-delà de Messiaen, de la Symphonie n°2 de Borodine, autant d’oeuvres que l’orchestre inscrivait à sa prestigieuse discographie. Si Karajan avait imposé sa légende avec des intégrales des grands cycles symphoniques, Rattle préfère le menu à la carte, ainsi une seule intégrale dans ce coffret des Symphonies de Brahms. L'ensemble du coffret est un peu un menu buffet que le chef a réalisé selon ses envies et ses passions. C’est un peu le verre à moitié vide versus le verre à moitié plein : peu de lignes structurantes mais une somme de disques tel un portrait à multiples facettes avec de grandes réussites qui se hissent au-dessus d’une solide moyenne. 

Le Lac d’argent de Kurt Weill à l’Opéra de Nancy

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Trop n’est jamais assez ! Tel semble avoir été le mot d’ordre de cette production. Des décors pharaonesques (au sens propre du terme, nous nous retrouvons dans une immense salle égyptienne soutenue par d’immenses colonnes-statues inattendues), des décors d’un manoir british cosy avec ses lampadaires et gravures ad hoc, un décor Magritte qui semble s’ouvrir sur un ciel bleu parcouru par quelques nuages évanescents. Une immense table débordant de mets factices indifférents à toute diététique. Des costumes flashy, sans rien de pastel bien sûr dans leurs coloris superlatifs, aux coupes déjantées, égyptienne-terroriste-policière, le plastique y ayant sa juste place -à moins qu’une blouse d’hôpital bâillant comme et où il faut suffise. Les interprètes surjouent à qui mieux mieux, soulignant ad libitum leurs phrases, leur chant, leurs poses. 

Mais ce trop-là n’est-il pas indigeste ? Eh bien non ! C’était le risque pourtant. On aurait pu très vite prendre une distance navrée ou agacée face à un pareil déferlement. Eh bien non, dans la mesure où tout cela est cohérent dans son incohérence, mesuré dans sa démesure.

On n’oubliera pas ce que l’on a vu ! Et qui est dû à Ersan Mondtag, avec des costumes de Josa Marx et des lumières de Rainer Casper.

Mais de quoi s’agit-il ? De la mise en scène du Lac d’argent, du Der Silbersee, de Kurt Weill. Et donc d’un opéra créé en 1933, qui se distingue à la fois par ses intentions politiques antifascistes et l’originalité éclectique de sa partition. 

Festival de Pâques de Deauville : émulation et élévation

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La 28e édition du Festival de Pâques de Deauville a commencé le samedi 6 avril et se poursuit jusqu’au 27 avril. Les concerts se déroulent à la salle de vente d’enchère de chevaux Arqana, aujourd’hui considérée comme un lieu privilégié d’émulations musicales pour des jeunes musiciens.

Le deuxième week-end est le plus chargé et diversifié de cette 28e édition, de Bach et Telemann jusqu’à Webern. Le vendredi 12, Gabrielle Rubio (traverso), Julien Chauvin (violon), Atsushi Sakai (viole de gambe) et Justin Taylor (clavecin) proposent des sonates de Bach et un quatuor de Telemann. Dans la sonate pour flûte, violon et basse continue en sol majeur BWV 1038 de Bach, la sobriété sonore du traverso et la brillance du violon offrent un contraste saisissant. La virtuosité stupéfiante et le lyrisme intense de la Sonate pour viole de gambe et clavecin en sol mineur BWV 1029 montrent à quel point deux seuls instruments peuvent varier et multiplier les plans et les couleurs. On peut même entendre dans certains passages du finale un petit orchestre, pendant que la sonorité mélodieuse de la viole « navigue » sur les accords flexibles du clavecin. Dans l’« Andante » de la sonate en trio de l’Offrande musicale, nos interprètes font ressortir la modernité de la partition, si bien qu’à un moment donné, on croirait entendre des pages d’opéras qui semblaient provenir de Gluck ! Une telle théâtralité est pleinement explorée par Justin Taylor, qui enchaine des arpèges très virtuoses de l’« Allegro » du Concerto pour orgue en do majeur (BWV 594, d’après le concert pour violon RV 2008 de Vivaldi) au Concerto italien. Dans l’« Andante », le claveciniste « décompose » les accords pour donner une illusion de plusieurs instruments, alors qu’à la main droite, il chante la mélodie avec la fluidité de violon, y compris la tenue des notes longues ! Toujours à la référence au théâtre, dans le Quatuor parisien n° 6 de Telemann, des jeux de réplique et d’imitation entre les quatre instruments, notamment entre le violon et le traverso, sont magnifiquement rendus, avec ce côté espiègle que Julien Chauvin réalise tout aussi visuellement avec ses coups d’archet. Une petite surprise quant à la basse profonde de la viole de gambe doublée par celle du clavecin, qui sonne comme un ensemble de cordes graves. Justin Taylor lance des aigus scintillants au clavier comme des clins d’œil d’une coquette Parisienne. Deux bis de Telemann closent le concert en bonne humeur.

Intrigues nuptiales sur l’île de Naxos : intéressante résurrection d’un festif opéra de Fux

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Johann Joseph Fux (c1660-1741) : La Corona d’Arianna, FuxWV II.2.20. Venere, Monica Piccinini, soprano. Arianna, Carlotta Colombo, soprano. Teti, Marianne Beate Kielland, contralto. Bacco, Rafal Tomkiewicz, contre-ténor. Peleo, Meili Li, contreténor. Arnold Schoenberg Chor. Zefiro, Alfredo Bernardini. Gabriele Cassone, Raphael Pouget, clarino. Simone Amelli, Samuel Sigl, trompette. Charlie Fischer, timbales. Paolo Grazzi, Amy Power, hautbois. Alberto Grazzi, basson. Cecilia Bernardini, Claudia Combs, Brigitte Duftschmid, Isabella Bisson, Rossella Croce, Ulrike Fischer, Monika Toth, Nina Pohn, violon. Teresa Ceccato, Barbara Palma, alto. Marcus van den Munckhof, Sara Bennici, violoncelle. Paolo Zuccheri, contrebasse. Anna Fontana, clavecin. Michele Pasotti, théorbe. Juin 2022. Notice en anglais, allemand, italien (livret des paroles en italien, traduction en anglais et allemand). TT 67’54. Arcana A548

A Lausanne, une Cendrillon à demi réussie

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En cette mi-avril 2024, l’Opéra de Lausanne affiche pour quatre représentations Cendrillon, l’un des grands ouvrages de Massenet qui a connu une création triomphale à l’Opéra-Comique le 24 mai 1899, s’est maintenu au répertoire jusqu’à 1950 puis a connu une seconde jeunesse grâce à Frederica von Stade qui a enregistré l’oeuvre en 1978 avant d’incarner le rôle au Festival d’Ottawa et à Washington, San Francisco et Bruxelles. Depuis septembre 2006, Joyce DiDonato a repris le flambeau en triomphant à Santa Fe, Barcelone, Londres et New York. 

Pour l’Opéra de Lausanne, Eric Vigié reprend la production que l’Opéra National de Lorraine avait présentée à Nancy en décembre 2019. Passons rapidement sur son affligeante laideur avec des décors de Paul Zoller présentant une façade de palais des boulevards et des salles Empire vides que creusent d’inutiles vidéo sans intérêt pour la trame, des costumes d’Axel Aust tout aussi indigents avec la malheureuse Fée qui n’a sauvé qu’un anorak délavé de ses fumeries de shit à Katmandou, flanquée d’esprits follets tout aussi barges poussant des caddies de supermarché, un pauvre Prince punk shooté rêvant de Michael Jackson, aussi emprunté dans ses entreprises amoureuses que l’infortunée Lucette/Cendrillon, contrainte d’arborer le noir des souillons de bénitier. Devant un tel salmigondis, la mise en scène de David Hermann se contente d’une mise en place des personnages et n’éveille qu’un regard las lorsque défilent les Filles de Noblesse, greluches dégingandées qui ont au moins le mérite de nous faire rire. L’on en dira autant de l’inénarrable Madame de la Haltière tentant d’engoncer ses formes opulentes dans un tailleur trop serré face à ses deux gourdes de filles, tout aussi grotesques. Que l’on est loin de la fantasmagorie féérique émanant du conte de Charles Perrault et de la dernière sentence du livret d’Henri Cain : « On a fait de son mieux pour vous faire envoler par les beaux pays bleus ! ».

"Notre Sacre", pour un printemps des peuples et des arts

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Il y a deux ans et demi, Les Dissonances et leur directeur musical avaient déjà joué Le Sacre du Printemps à la Philharmonie de Paris, lors d’un concert qui, formellement, ne cassait que le code d’un orchestre jouant sans chef (ce qui, surtout avec cette œuvre, n’est tout de même pas rien !). Nous avions commencé notre chronique en faisant allusion à la mythique et mouvementée création de ce chef-d'œuvre, il y a maintenant 111 ans, par ces mots : « Heureux les Parisiens qui... ». Nous pouvons les reprendre pour parler de cette, à nouveau, mémorable soirée.

Cette fois, d’autres codes tombent. Le ton est donné avec une rapide apparition sur scène des principaux maîtres d’œuvre de la soirée (le rappeur et écrivain Abd al Malik qui déclare « Je m’appelle David et je suis juif », le violoniste et chef d'orchestre David Grimal qui répond « Je m’appelle Malik et je suis musulman », et la chorégraphe Blanca Li qui conclut « et ce soir, nous sommes tous des sœurs et des frères »). Dès leur sortie, bras dessus bras dessous, une voix off nous explique que la soirée bénéficie du dispositif Relax, lequel « facilite la venue de personnes dont le handicap peut parfois entraîner des comportements atypiques pendant la représentation ». Ceux qui en éprouvent le besoin peuvent ainsi sortir et revenir, et même « vocaliser » leur plaisir. Peut-être que si ce dispositif avait été mis en place au théâtre des Champs-Élysées le 29 mai 1913, l’histoire de la musique en eût été changée...Une soirée sous le signe de la paix et de l’inclusion, donc.

Débuts de Tarmo  Peltokoski à Monte-Carlo

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Après les concerts Richard Strauss et le Chant de la Terre de Mahler au Printemps des Arts, l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo entraîne le public monégasque à explorer d'autres chefs-d'œuvre du répertoire germanique post-romantique :  les Sieben frühe Lieder de Berg et la Symphonie n°4 de Mahler sous la baguette du prodige Tarmo  Peltokoski et avec la sublime soprano Chen Reiss, l’une des voix les plus parfaites qu'on puisse souhaiter pour interpréter ce répertoire. Directeur musical désigné de l’Orchestre national du capitole de Toulouse, Tarmo  Peltokoski, du haut de ses 24 ans, fait ses débuts sur le rocher.  

Les Sieben frühe Lieder  d'Alban Berg sont un trésor d'un jeune compositeur âgé de 23 ans. L'interprétation de Chen Reiss est magique, intense, sensuelle. Tout y est, couleurs évocatrices, atmosphères nocturnes, la voix se fond avec l'orchestre. De son côté, Tarmo Peltokoski impose un charisme naturel et une énergie époustouflante. Il dirige l'orchestre avec précision, un fascinant travail d’orfèvre entre couleurs et dynamiques. 

Alena Baeva et Vadym Kholodenko, en toute fantaisie 

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Fantasy. Franz Schubert (1797-1828) : Fantaisie en Ut majeur, Op 159, D.934 ; Igor Stravinsky (1882-1971) : Divertimento du Baiser de la fée (arrangement pour violon et piano de Samuel Dushkin) ; Robert Schumann (1810-1856) : Märchenbilder, Op.113 ; Olivier Messiaen (1908-1992) : Fantaisie. Alena Baeva, violon ; Vadym Kholodenko, piano. 2023. Livret en : anglais, allemand et français. 66’17’’. Alpha. 1021.