A Bamberg, une Symphonie n° 4 de Mahler décharnée

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Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n° 4. Anna Lucia Richter, mezzo-soprano ; Orchestre Symphonique de Bamberg, direction : Jakub Hrůša. 2020. Notice en allemand, en anglais et en français. 55.15. Accentus ACC30532.

En tête de publication, un texte signé conjointement par l’Orchestre symphonique de Bamberg et son chef explique que cet enregistrement a été effectué en pleine pandémie, en juillet 2020, dans le respect des règles sanitaires en vigueur. C’est ainsi que les premières rangées de la Joseph-Keilberth-Saal où officie la phalange ont été démontées pour augmenter l’espace, que les cordes ont été réduites et les instrumentistes disposés autrement. Et le texte de conclure que vous tenez entre vos mains le résultat de cette production extraordinaire réalisée dans une époque elle aussi extraordinaire

Au niveau de la production, on peut ne pas être d’accord avec le superlatif adopté. Fondé en 1946, l’Orchestre Symphonique de Bamberg a connu plusieurs chefs permanents : Herbert Albert, Georg-Ludwig Jochum, Joseph Keilberth, Eugen Jochum, James Loughran, Witold Rowicki, Horst Stein, Jonathan Nott se sont succédé à sa tête. Depuis 2016, c’est Jakub Hrůša, né à Brno en 1981, qui en est le directeur musical ; des disques, consacrés notamment à des compositeurs tchèques, mais aussi à Richard Strauss ou Elgar ont suivi. C’est au tour de Mahler cette fois. Celui-ci entame l’écriture de sa Symphonie n° 4 à l’été 1899 et la termine un an plus tard, au début du mois d’août 1900. Il en dirige lui-même la création à Munich le 25 novembre 1901, avec un succès mitigé. Allégée et plus courte que les deux monuments qui l’ont précédée, l’œuvre exclut, parmi les instruments, trombone et tuba, supprime le chœur mais conserve une voix soliste. L’insouciance globale qui s’en dégage est accentuée par l’usage de mélodies simples, dans un contexte qui touche parfois à la parodie, selon la formule de Theodor W. Adorno rappelée judicieusement dans l’intéressante notice signée par Alexander Moore. Le vaste Allegro initial, avec ses flûtes qui font allusion au Paradis et son appel strident de trompette, a des allures d’évocation de marches militaires, tandis que le second mouvement, avec son violon accordé plus haut, fait pencher l’ensemble dans une autre approche du Paradis, plus « parodique ». L’ample Adagio indiqué Ruhevoll (« tranquille ») fait la part belle aux cordes et s’achève par un puissant tutti orchestral introduisant l’admirable lied final Das himmlische Leben (« La vie céleste ») qui conduit à une conclusion sereine et apaisée.

L’impression globale laisse perplexe car le caractère lyrique, qui donne souvent l’impression ici d’être fabriqué pour le plaisir du beau son, entraîne une sensation de longueur, en particulier dans le second mouvement dont le climat rustique est peu convaincant. Avant cela, la trompette de l’Allegro a fait presque grincer des dents en raison de son jeu acéré. Le nombre réduit de cordes enlève à l’Adagio sa part d’intemporalité féconde et donne une sensation décharnée. On espère alors que le lied final va porter à son meilleur une interprétation qui, jusque-là, laisse sur sa faim tant elle semble peu habitée et nous laisse à la limite de la monotonie. Ce sublime moment vocal est dévolu à la mezzo-soprano Anna Lucia Richter qui a laissé de beaux souvenirs dans Monteverdi, Bach, Haydn, Schubert ou Schumann. Son visage au regard franc, que l’on découvre sur une photographie de la notice, fait espérer qu’elle va transmettre une émotion fluide et transparente et mettre en valeur ce texte bucolique, mais aussi quelque peu cruel quand il fait allusion aux animaux sacrifiés, puis ironique dans sa description des plaisirs gastronomiques. Les derniers vers de cet extrait du recueil de poèmes Des Knaben Wunderhorn proclament : Les voix angéliques/réchauffent les cœurs/et tout s’éveille à la joie. Mais si Anna Lucia Richter s’inscrit dans une volonté de clarté, elle s’arrête hélas au seuil de la lumière qui n’est que suggérée, ne sauvant pas une interprétation globalement en demi-teinte, où l’on cherche trop souvent le déclic qui emporte la conviction.

 Son : 8  Livret : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 7

Jean Lacroix 

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