Bach en perspectives avec Emmanuel Despax
Jean-Sébastien Bach (1685-1750) : Spira, Spera (Transcriptions pour piano de Camille Saint-Saëns, Ferruccio Busoni, Alexander Siloti, Franz Liszt, Theodor Szanto et Myra Hess). Emmanuel Despax, piano. 2020. Livret en anglais et en français. 80'30 Signum Classics SIGCD665
"Spira, Spera", "Respirez, Espérez" est une citation du roman Notre Dame de Paris de Victor Hugo. Ces mots ont traversé l'esprit d'Emmanuel Despax à la suite de l'incendie de la Cathédrale parisienne. C'est dans ce lieu extraordinaire qu'enfant, il a assisté à de nombreux concerts de musique pour orgue de Bach, souvenirs qui restent gravés dans sa mémoire.
Il a choisi d'interpréter les plus belles pièces de Jean-Sébastien Bach en mettant en lumière de merveilleuses transcriptions de compositeurs et pianistes comme Franz Liszt, Camille Saint-Saëns, Ferruccio Busoni, Theodor Szanto et Dame Myra Hess qui vénéraient la musique du Cantor de Leipzig et qui transcrivirent certaines de ses plus grandes œuvres pour piano moderne.
Le récital commence par l'ouverture de "Wir danken dir Gott, Gott wir danken dir" de la Cantate n°29. Despax a choisi la transcription de Camille Saint-Saëns dédiée à son élève Gabriel Fauré. Sous ses doigts, on entend un splendide carillon sonore se substituant à l'orgue et à l'orchestre. C'est prodigieux.
La Chaconne de la Partita n°2 en ré mineur pour violon solo de Bach est un chef d'oeuvre, une des plus grandes œuvres jamais écrites pour le violon : un quart d'heure d'intensité musicale sur un seul violon. Ferruccio Busoni l’a transcrite pour piano, dans la lignée de Franz Liszt. Busoni suit le texte, mais dans sa transcription la "Chaconne" devient énorme.
Le piano a développé à la fin du XIXe siècle une puissance phénoménale et, grâce aux progrès mécaniques, il sonne comme un orchestre entier. La Chaconne de Bach-Busoni est une des transcriptions pour piano les plus étincelantes et les plus populaires. La performance de Despax est démoniaque, charismatique et puissante. Le Prélude en si mineur BWV 855, transcrit par le pianiste et compositeur russe Alexander Siloti, fait songer à une mélodie romantique, d'une beauté tragique aux accents russes. C'était un des bis favoris du grand pianiste russe Emil Gilels, un des maîtres à penser de Despax. Son interprétation est très émouvante et ravit l'âme.
Franz Liszt a transcrit pour piano le Prélude et Fugue en la mineur BWV 543 initialement composé pour orgue. Il relève le défi de remplacer le clavier de la pédale d'orgue par la pédale de soutien. Liszt rend hommage à son illustre prédécesseur avec humilité. On ne se lasse pas d'écouter cette oeuvre géniale. Le jeu transparent et raffiné de Despax est parfait.
Busoni était un des plus redoutables pianistes et un des plus grands esprits musicaux de son temps. Ses transcriptions des partitions de Bach sont remarquables. Il recrée pour le piano moderne des morceaux pleins de virtuosité, d'exubérance et de richesse sonore. Certes, c'est une conception du XIXe siècle, mais même les puristes sont émerveillés par le respect de Busoni pour l'oeuvre de Bach. Il est un alchimiste qui transforme une merveille en une autre. Nun freut euch, leben Christen g'mein est un moto perpetuo étourdissant. Despax maîtrise parfaitement l'équilibre des voix. Le tempo est endiablé, assez proche de l'enregistrement de 1922 de Busoni lui-même. Sa dynamique est incroyable et subtile, tout simplement stupéfiante.
Nun komm, der Heiden Heiland offre un contraste saisissant, avec une solennité lyrique. Une interprétation splendide, avec à la fois du souffle et de l'intériorité, une belle construction architecturale avec de magnifiques plans sonores. Ich ruf zu dir, Herr Jesu Christ est une des compositions les plus émouvantes de Bach. Ce choral est empreint de mélancolie, un des plus beaux anciens chants luthériens. Despax met son âme sur le clavier, c'est touchant, chaleureux et merveilleux.
Le Hongrois Theodor Szanto était compositeur et pianiste virtuose. Ses transcriptions de la Passacaille et fugue en do mineur et de la Fantaisie et fugue en sol mineur sont impressionnantes. Elles repoussent les limites techniques du piano et sollicitent l'endurance physique et mentale du pianiste. Emmanuel Despax a pris l'initiative exceptionnelle de les inclure dans son programme, car il s'agit de premiers enregistrements.
Pour clore et couronner ce recueil, Jesus bleibet meine Freude (Jésus, Que Ma Joie Demeure) dans l'arrangement de Dame Myra Hess. Emmanuel Despax écrit dans son avant-propos : Après la période difficile que le monde vient de traverser, je me tourne vers Bach, je pense à mon prochain. J'ai la chance d'exister, d'être musicien, de pouvoir partager mon art. Je me rappelle enfin qu'il faut respirer, espérer. Spira, Spera.
La pochette est une photo de Nick White. C’est un peu comme un tableau surréaliste de Magritte. Une représentation de ce que l’art peut apporter comme beauté et enrichissement à notre vie quotidienne. Faire pause de temps en temps et mettre l’art au centre de nos vies. Une image d’espérance, d’espace, qui nous convie à des jours meilleurs, non confinés, où nous pourrons reprendre nos vies.
Son : 10 Livret : 9 Répertoire : 10 Interprétation : 10
Carlo Schreiber